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qui m’eût dit tout cela, lequel désirant luy nuire en pourrait dire autant à votre majesté, me priant s’il venait à ma cognoissance que cela eût été fait ou se fist cy-après de vouloir prendre la protection de son innocence, me pouvant jurer de n’avoir jamais donné charge audit sieur Durand des choses que je luy avais dites, et que s’il les avait advancées, il l’en désavouait absolument ; que quant au cheval il recognoissait la chose estre très vraye, mais qu’aussi espérait-il bien s’en justifier si jamais votre majesté luy en parlait, d’autant qu’il la ferait fort bien souvenir qu’il ne l’avait point entrepris sans lui en avoir demandé permission auparavant[1]. »

Henri IV voulait donner une femme à Rohan de sa propre main. Il avait voulu d’abord le marier à la fille de Charles, duc de Sudermanie, depuis roi de Suède ; mais les négociations avaient été rompues à cause du douaire[2]. Il fit un matin quérir Sully aux Tuileries et, se promenant avec lui sur la grande terrasse vers les Capucins, il lui dit : « Je crois que vous vous souvenez bien comme à cause que feue ma sœur et ma tante de Rohan (qui me faschoit bien souvent en faisant la niaise et la resveuse) vous avait fait proposer, sans m’en avoir fait sçavoir la moindre chose du monde, le mariage de mon cousin de Rohan avec votre fille ; ma sœur promettant de leur donner ses biens à bon escient et que vous, mais encore plus votre femme, escoutates tout cela sans m’en parler ni sçavoir ma volonté, je vous défendis d’y penser et vous commanday d’entendre à celui de M. de Laval[3] dont M. et Mme de Fervacques m’avaient parlé, estant beaucoup plus riche que M. de Rohan, lequel avait peu de biens pour estre de si grande maison et mon parent si proche, que, si ma sœur et moi n’avions point d’enfans, il serait héritier du royaume de Navarre et de tous les biens des maisons d’Albret, de Foix et d’Armaignac, mais je vous ay envoyé quérir pour vous dire que j’ay maintenant changé d’avis[4]. » Le roi ordonna donc à Sully de rompre avec M. de Laval, et lui annonça

  1. Économies royales, t. II, p. 254.
  2. La négociation au sujet de ce mariage avait commencé dès 1601. Henri IV avait envoyé en Suède le sieur Dubrail, conseiller au parlement de Paris.
  3. M. de Laval était de la maison de Châtillon. — Henri IV essaya de le tourner à la religion catholique. « Ce pauvre seigneur, emporté des vices et vanités du monde, ne la fit pas longue après, tué en une charge tumultuaire en Hongrie. » (La Vie de M. Du Plessis, t. I, p. 305).
  4. M. de Rohan avait aussi prié M. de La Force d’incliner le roi à la recherche qu’il faisait de la fille de Sully. M. de La Force le fit, il espérait lui-même obtenir la plus jeune sœur de Rohan pour son fils aîné : il parle d’elle comme d’une fille « des plus accomplies qui se puisse voir ; c’est un des plus beaux esprits de France, sa taille et son visage fort agréables. La mère et la fille doivent arriver en cette ville dans trois ou quatre jours. » Paris, 23 décembre 1604. (Mémoires et Lettres de M. de La Force, t. I, p. 386.)