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d’avril et de mai, se sont-ils fait ouvrir de force l’hôtel de M. Martin du Nord, rue Paradis-Poissonnière, et l’ont-ils pillé[1] ? Est-ce l’acte d’une bande de sacripans qui veulent faire un bon coup et qui profitent de leur nombre, de leurs armes, pour casser des meubles et se garnir les goussets ? Nullement, car dans le cabinet que Fontaine occupait à la direction des domaines, on retrouve les objets dérobés, de l’argenterie, des bijoux, des médailles, des coupons de rente. Il n’a été que receleur, — séquestre, comme il disait, — car le pillage de l’hôtel de M. Martin du Nord a été exécuté par des fédérés qui ont agi en vertu d’instructions que nous ne connaissons pas. Dans une autre circonstance, il a lui-même commandé en chef.

On voulait, je ne sais pourquoi, s’emparer des meubles appartenant à la princesse Mathilde. C’était là une noble tâche, bien faite pour éveiller une chevaleresque émulation dans le cœur des ennemis des tyrans. Jules Fontaine ne voulut point laisser à d’autres la gloire de l’avoir accomplie, et accompagné de Mirault, escorté d’un nombre suffisant de fédérés, il partît pour la conquête. L’expédition fut longue ; on la divisa en trois opérations distinctes, car on croyait savoir que la princesse Matthilde avait confié une partie de ses objets précieux à trois personnes différentes. L’ennemi fut vaincu : l’ennemi c’étaient de malheureux portiers qui firent de consciencieux efforts pour sauver les appartemens dont ils avaient la garde. Peine inutile, Jules Fontaine renversa tous les obstacles. — Chez M. de M., chez M. P., chez Mme G., on fouille les appartemens, on fracture les meubles, on brise les serrures, on enlève des objets de prix. — Une lorgnette et une médaille en or provenant de cette excursion en territoire hostile furent découvertes au domicile de Fontaine, qui avait pris la précaution d’y faire également transporter quelques bouteilles de vin de Champagne. Des expéditions analogues furent dirigées contre la maison du prince Pierre Bonaparte, contre l’argenterie du mess des officiers de l’École : militaire. Tout n’alla pas au garde-meuble ou à l’hôtel de la Monnaie, car un service de porcelaine et quelques pièces de vaisselle plate ne quittèrent pas le domicile de Fontaine où on les retrouva. Il paraît avoir été coutumier du fait et avoir aimé à conserver quelques souvenirs de ses essais de revendication, car un témoin déposant devant la commission d’enquête parlementaire sur

  1. « Pendant que j’écris, un Alsacien, qui est venu me trouver pour réclamer ma protection en qualité de sujet allemand, m’informe qu’avant-hier au soir des gardes nationaux, armés de l’autorité du comité de salut public, ont envahi le magnifique hôtel de M. Martin du Nord, l’un des plus riches manufacturiers de France, et qu’ils ont emporté tout ce qu’ils ont pu trouver, meubles, vaisselle plate, bijoux, ornemens, etc. — Le seul crime qu’on allégua contre lui, c’était qu’ayant été colonel de la garde nationale, il avait quitté Paris et s’était retiré à Versailles. » M. Washburne à M. Fish.