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que l’on pourrait multiplier ces exemples, qui semblent démontrer que la commune a été un essai sérieux de translation obligatoire de la propriété mobilière. C’est ainsi du moins qu’elle apparaîtra dans l’histoire, grâce aux documens sans nombre qu’elle a laissés derrière elle, qui subsistent malgré les incendies qu’elle a eu soin d’allumer et que l’on a pris la précaution de mettre en lieu sûr.

Jules Fontaine avait aussi dans ses attributions le garde-meuble, où il avait placé un homme de confiance ; il y versait le produit des rapines de la commune, et parfois, pour obliger un camarade ou obéir à des injonctions supérieures, il y laissait prendre les objets mobiliers qu’on lui demandait. L’idée fort arrêtée des membres de la commune était que l’état devait subvenir à leurs besoins et, sans scrupule, ils requéraient partout et toujours. Les salles de fêtes, les appartemens de réception des ministères devenaient pour eux des appartemens privés, qu’ils faisaient tant bien que mal approprier à cette nouvelle destination. La lettre suivante en fait foi : « Citoyen Fontaine, le citoyen Rigault me charge de vous dire qu’il a trouvé au Palais de Justice, ex-local de la cour de cassation, trois chambres sans meubles qu’il désirerait meubler en chambres à coucher. Il espère que vous pourrez lui envoyer les meubles nécessaires ; il m’a dit, du reste, s’être entendu avec vous pour cela. Salut et égalité. Le secrétaire général : J. Fourrier. » Ceci n’est point un fait isolé, comme on pourrait le croire. C’est à qui, pendant toute la durée de la commune, « dormira sous des lambris dorés ; » à l’Hôtel de Ville, les plus riches galeries servaient de chambrée aux fédérés, qui s’amusaient à se tailler des ceintures dans les rideaux de soie rouge. — Lorsque les bataillons insurgés s’emparèrent du conseil d’état, les hommes parcoururent avec curiosité les salles resplendissantes d’or, ornées de peintures, décorées de glaces, et du plafond desquelles tombaient de grands lustres en cristal. Ils n’en voulurent s’éloigner : Ici, nous dormirons ! — On eut beau leur faire observer qu’ils y seraient fort mal, que les salles n’étaient point disposées pour être des dortoirs, que la caserne d’Orsay, spécialement aménagée, leur offrait un logement commode ; tout raisonnement fut vain et se brisa contre la volonté brutalement exprimée : « Pourquoi donc pas ? C’est notre tour à présent ; Dardelle, qui n’est pas plus que nous, couche bien aux Tuileries ; nous resterons ici, il y a des tapis, il y a des glaces, il y a de l’or partout, ça nous va, et nous ne bougerons. » On fut obligé de leur obéir : on jeta des matelas dans les salles de délibération, dans la salle du trône ; ils s’y établirent, ils en étaient très fiers et heureux. Quand une femme faisait visite à son mari, on lui disait : « Venez donc voir notre chambre à coucher ; » on la promenait partout, on lui faisait admirer les tableaux et les tentures, on lui disait : « Tout ça, c’est à