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enfant. Il prend un moyen terme et figure un guerrier grec, mais sans le moindre souvenir de l’Apollon, qui n’avait rien à faire là. Le prince, ou plutôt le jeune guerrier est fièrement campé, à demi vêtu d’une tunique et d’une chlamyde qui laissent son épaule droite et sa poitrine nues; une main s’appuie sur la poignée du glaive, l’autre sur la hanche en retenant les plis de la chlamyde. La tête se détourne à gauche avec une expression de fierté tranquille et mélancolique. Le casque et la cuirasse sont déposés à terre, et sur le socle du monument un charmant bas-relief représente le Génie de la mort. L’œuvre d’ailleurs est superbe, composée et modelée comme les meilleures du maître, et ce n’est pas sa faute s’il lui a fallu placer la tête d’un prince polonais, un profil de Slave, sur une magnifique statue de Diomède ou d’Hector.

Il comprenait si bien les lois et les conditions de la statuaire moderne que, laissé libre d’abord par le comité polonais qui lui demandait une statue équestre de Poniatowski, il se hâta dans son premier projet de rompre en visière à la mode et de rejeter bien loin la défroque du paganisme. Tout le monde connaît la fin héroïque de Joseph Poniatowski. Après la bataille de Leipzig, où il avait été fait maréchal de France, ne pouvant plus, malgré une défense désespérée, couvrir la retraite, Poniatowski s’élança à cheval dans les flots de l’Elster plutôt que de se rendre. C’est ce trait de valeur folle et vraiment polonaise que Thorvaldsen voulait saisir sur le fait même pour le fixer et l’immortaliser dans un bronze hardi. Son Poniatowski, en uniforme de général polonais, et le sabre au poing, pressait avec colère les flancs de son cheval cabré. Aux pieds de l’animal, du socle même de la statue, s’échappait, pour tomber dans un bassin, une large nappe d’eau qui devait figurer l’Elster. Ainsi composée, la fontaine aurait orné une place de Varsovie. Le dessin de ce projet brillant et poétique est conservé dans les cartons du musée, et l’on imagine sans peine ce que fût devenue une telle composition sous la main du statuaire. Mais cette fois encore sa pensée indépendante vint se heurter aux préjugés de son temps, et son projet, d’abord accepté, fut ensuite condamné et rejeté à Varsovie. Les Polonais ne trouvèrent pas leur costume national assez noble et assez idéal pour la statuaire ; la famille de Joseph Poniatowski s’opposa à la représentation de l’acte même où il avait trouvé la mort. Thorvaldsen dut changer son héros en un général romain, la tête nue, le paludamentum agrafé sur l’épaule, et, pour toute allusion, une aigle polonaise ciselée sur sa cuirasse. Le cheval est simplement au trot, et le prince fait de la main droite un geste de commandement. Ce geste et l’attitude du personnage rappellent beaucoup la statue de Marc-Aurèle au Capitole. Le cheval d’ailleurs est excellent, l’ensemble d’un beau caractère antique. Mais qu’il y a