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qu’elle était spontanée ; il allégua que sa présence dans la chambre des communes était nécessaire pour maintenir l’union et relever la confiance du parti conservateur qu’un changement de direction pourrait désorganiser. Il demanda à la reine la permission de demeurer sur la brèche et de continuer la lutte où ses efforts pouvaient être les plus utiles. La reine voulut alors lui conférer l’ordre de la Jarretière, il déclina cet honneur comme trop éclatant pour un simple commoner : lord Palmerston était le seul qui l’eût reçu sans appartenir à la pairie, encore était-il pair d’Irlande, et il avait été plusieurs fois premier ministre. Après avoir tout refusé pour lui-même, M. Disraeli n’eut plus la force de refuser pour la compagne de sa vie. Mrs. Disraeli devint pairesse d’Angleterre, sous le titre de vicomtesse Beaconsfield. La femme du premier Pitt avait été ainsi élevée à la pairie, avant que son mari se décidât à quitter la chambre des communes pour la chambre des lords.

Les traditions parlementaires autorisaient le cabinet à demeurer au pouvoir jusqu’à la réunion des chambres, et à attendre pour se retirer le vote soit d’un amendement à l’adresse, soit d’une motion de refus de confiance ; mais un vote hostile n’était pas douteux, et M. Disraeli jugea qu’une retraite immédiate était plus digne et plus habile. Il épargnait ainsi au pays un débat irritant et inutile et à son parti une défaite inévitable : il se dispensait de toute explication sur la conduite qu’il comptait tenir ; et il contraignait les chefs de la coalition devant laquelle il succombait à formuler dans le discours royal un programme qui les lierait vis-à-vis du parlement et vis-à-vis de l’opinion. Aussitôt les élections terminées, M. Disraeli remit sa démission à la reine : il dissuada sa souveraine de faire appeler soit lord Russell, soit lord Granville ou tout homme politique d’une nuance intermédiaire : il lui indiqua M. Gladstone comme le chef nécessaire de la nouvelle administration. La détermination du cabinet fut portée à la connaissance du public par une déclaration officielle qui annonçait en même temps que les chefs du parti conservateur continueraient à combattre de toutes leurs forces la suppression de l’église d’Irlande. La résolution imprévue de M. Disraeli excita quelque surprise ; mais elle obtint l’approbation universelle : un journal radical, le Spectateur, ne put s’empêcher d’écrire : « M. Disraeli est beau joueur, il a perdu la partie et il paie galamment l’enjeu. »

La composition du cabinet de M. Gladstone fut significative. Tandis que le jurisconsulte le plus éminent du parti libéral, sir Roundell Palmer, qu’on s’était attendu à voir appeler au poste de lord chancelier, déclinait cette haute dignité par scrupule de conscience ; tandis que sir George Grey et d’autres libéraux refusaient également des portefeuilles, on vit entrer dans l’administration