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découvertes dans cette bibliothèque, n’ait point cru nécessaire de collationner le texte de 1830 sur les deux volumes in-4o qui sont à Saint-Pétersbourg. Peut-être y aurait-il eu lieu à quelque variante et surtout à quelque addition curieuse au texte déjà connu. Voyez en effet que de lacunes restent à combler ! Ces lettres embrassent une période de quinze années ; mais nous n’avons en réalité que huit mois de l’année 1759 (et la lettre du 10 mai n’est évidemment pas la première), six mois de 1760, deux mois de 1761 et quatre mois de 1762. Après une longue et invraisemblable interruption de près de deux ans, les lettres se multiplient en 1765 ; 1766 nous en fournit trois, 1767 huit, 1768 une dizaine, 1769 neuf et 1770 quatre. Puis, pendant plus de deux ans et demi, nouvelle interruption ; le voyage en Russie et les deux séjours en Hollande donnent six lettres, la plupart fort courtes, et la correspondance finit brusquement sans raison : Mlle Volland est morte vers 1778, six ans avant son ami.

On voit combien de parties essentielles de cette correspondance ont dû s’égarer. Cette perte est irréparable. Il n’est pas un seul écrit de Diderot qui offre, avec autant d’agrément, autant d’aperçus intéressans sur sa vie, sur le temps où il a vécu, la société dont il faisait partie, l’histoire de son esprit et de ses relations et aussi l’histoire de ce cœur mobile qui ne parut se fixer que dans cette affection. — Passion d’abord et des plus vives à ses débuts, pleine de mystère, enthousiaste, à la façon dont le mot s’entendait alors, peu à peu par l’effet de l’habitude qui s’accroît et des années qui viennent, le sentiment qui anime les lettres se modère dans l’expression ; peut-être plus profond, il est plus tempéré ; il parcourt toute la gradation de l’amour le plus vif à l’amitié sensible encore, mais raisonnable. Au commencement de la correspondance, Diderot, en véritable amoureux, se plaint des obstacles de divers genres que rencontre sa liaison avec Sophie ; il s’irrite de la surveillance qu’on exerce autour d’eux : il y a des allusions passionnées et des sous-entendus. Peu à peu toutes ces colères et ces défiances se calment ; l’expression est encore tendre, mais d’une tendresse qui n’a plus rien à cacher. Diderot finit par admettre la famille dans l’intimité élargie et attiédie de sa correspondance. La mère de Sophie, Mme Volland, la sœur, Mme Legendre, sont traitées sur le même pied que Sophie : il y a même un instant où Uranie (Mme Legendre) paraît prendre pour elle une bonne moitié de cette affection. Les phases diverses de ce petit roman sont marquées par les formules qui varient dans chaque période de la correspondance ; c’est d’abord ma tendre amie, puis mon amie ; un certain moment, c’est aux chères et bonnes amies qu’on écrit, et les dernières lettres portent ces mots significatifs : Mesdames et amies. Le roman est