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fini ; la vie réelle a repris le dessus ; de la vie sentimentale il n’est resté qu’un tendre souvenir, l’apaisement s’est fait. Nous n’avons rien à ajouter à cette histoire, qui est connue. Nous n’avons pas à rechercher, à l’aide de nouveaux documens qui nous font défaut, quelle était au juste cette aimable petite bourgeoise, qui a pris une si grande place dans la vie de Diderot pendant vingt-trois années et dont on sait seulement ce que Diderot nous en laisse savoir dans ses lettres, qu’elle ne se maria pas, que, née vers 1726, elle avait environ vingt-neuf ans quand il la connut, qu’elle paraît avoir eu ce qu’on appelait alors une figure intéressante plutôt que de la beauté (Muses et Grâces, pardonnez à Diderot qui nous révèle qu’elle avait « la menotte sèche » et portait lunettes, vers l’âge de trente-cinq ans) ; douée, cela va sans dire, de cette sensibilité qui était la vertu de ce temps-là, instruite d’ailleurs, au courant de tous les livres philosophiques qui paraissent, de ceux de Voltaire que lui envoie son amant, lectrice éclairée de l’Esprit d’Helvétius, de l’Emile de Rousseau, des Recherches sur le despotisme oriental de Boulanger, que lui adresse Grimm ; très curieuse des beaux-arts, où il semble qu’elle apporte un jugement droit et des points de vue qui sont bien à elle et dont Diderot, le grand juge, tient grand compte.

Nous n’avons pas non plus à réviser le procès de la vertu problématique de Mlle Volland. Malgré le ton général de ces lettres et quelques passages terriblement significatifs, les nouveaux éditeurs, pris d’un scrupule assez inattendu, veulent douter encore. Il leur plaît de nous faire entendre qu’il y a là une question et qu’elle est loin d’être aussi facile à trancher que le prétendent les lecteurs superficiels de Diderot et les roués littéraires qui sourient devant les problèmes de ce genre. — Il semble cependant qu’il ne puisse y avoir d’hésitation raisonnable en présence de certaines pages où sont évoqués les souvenirs les plus troublans et les espérances les moins équivoques, sans parler des passages où Diderot pose à son amie des questions étranges de casuistique licencieuse, de physiologie grivoise, qui seraient mieux à leur place au Grandval, chez le baron d’Holbach, — de ces questions où se délecte une curiosité malsaine et qui, tout en restant ce qu’elles sont, d’une inconvenance suprême en tout état de choses, seraient un véritable outrage dans l’hypothèse d’un amour platonique, du respect qu’il comporte et des ignorances qu’il suppose. Et puis quelle idée invraisemblable que de parler de platonisme au XVIIIe siècle et à propos de Diderot, quand on connaît sa manière de voir sur les relations de ce genre et l’indifférence de certaines actions physiques ! Est-il douteux qu’à cet égard Mlle Volland ait été, un instant au moins, de son école ? Ce sont là des