Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 36.djvu/866

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pendant plus de trois cents ans, ainsi qu’une menace permanente de la barbarie contre la civilisation chrétienne.

Après eux, était venue une longue suite de deys, pirates à leur exemple, sortis pour la plupart de la terrible milice des janissaires de Constantinople, et dont l’insatiable ambition, après avoir trouvé son prix dans une élévation de hasard due à un crime, trouvait presque toujours son châtiment dans une mort violente par laquelle ils pouvaient apprendre, au déclin de leur vie, que celui qui a tué par l’épée périra par l’épée. Pendant trois siècles, toute fin de règne à Alger fut le fruit d’un assassinat. Le père Gomelin, membre d’un ordre de rédemptoristes, en fournit une saisissante preuve dans la relation d’un des voyages qu’il fit à Alger, en exerçant son héroïque ministère. Il raconte qu’en 1720, sur six deys qui avaient gouverné la régence depuis le commencement du siècle, quatre avaient été empoisonnés, étranglés ou poignardés ; le cinquième n’avait sauvé sa vie qu’en abdiquant ; le sixième seul était mort de sa bonne mort, fait assurément extraordinaire aux yeux de ses sujets, puisqu’après son trépas, ils le vénéraient comme un saint, en souvenir de la protection qui l’avait préservé d’une fin analogue à celle de ses prédécesseurs.

Il est aisé de deviner qu’un gouvernement ainsi constitué devait être pour l’Europe un sujet d’inquiétude et d’effroi. De ce port d’Alger, véritable repaire de bandits, partaient ces corsaires qui, armés en guerre, tenaient la Méditerranée, y donnaient la chasse aux chrétiens, poussaient l’audace jusqu’à débarquer tout à coup sur les côtes d’Espagne ou d’Italie, pénétrant à trois ou quatre lieues dans les terres, y opérant, parmi les populations, des razzias de jeunes filles qu’ils allaient vendre aux harems de Constantinople, d’enfans et d’hommes qu’ils envoyaient en esclavage à Alger. Notre littérature s’est inspirée souvent du souvenir des exploits des Barbaresques, comme on les appelait. Il suffit d’ouvrir les recueils de contes de la renaissance pour constater l’influence que la terreur des pirates algériens exerçait sur les mœurs des populations méridionales de l’Europe. Qui n’a lu ces touchans récits où l’on voit de beaux romans d’amour brusquement interrompus par l’arrivée des corsaires, les amantes éplorées envoyées dans quelque sérail et retrouvées plus tard après d’étourdissantes aventures par ceux aux mains desquels elles avaient été ravies ? Ces contes variés à l’infini et images fidèles du temps, n’ont rien exagéré. C’est par milliers que l’on comptait les malheureux arrachés à leur foyer et entraînés en captivité ainsi qu’un vil bétail. Ce fut notamment le sort de l’immortel auteur de Don Quichotte, qui resta pendant cinq ans en esclavage à Alger et ne dut sa délivrance qu’à ces religieux dont