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REB HERSCHEL.

s’asseoir sur les bancs de l’école et commencer les études profanes : l’exemple du docteur E…, un savant hébreu, qui, marié, père de famille, quitta temporairement les siens pour s’instruire à l’université, mérite une mention spéciale.

— Mais, reprend Freudele, savez-vous si mon père permettra que j’attende sept ans un mari, et quel mari ? Nous ne le reconnaîtrons peut-être plus quand il nous reviendra, puisqu’il veut d’un coup rompre avec son passé pour devenir un tout autre homme.

V.

Tandis que l’on mettait en doute son consentement, le rendar Jochenen arriva consterné. « Les affaires dit-il, allaient mal à l’auberge ; avec Freudele était parti tout le bonheur de la maison ; les hôtes étaient rares et les serviteurs insolens ; quant au seigneur, il se vengeait par mille exigences insupportables ; et puis les nombreux travailleurs employés dans les champs et les forêts de la seigneurie recevaient maintenant par faveur exceptionnelle deux rations d’eau-de-vie par jour, ce qui les éloignait du cabaret. Le pauvre aubergiste était endetté envers son seigneur, qui certes ne se montrerait pas pitoyable ! En vain Jochenen avait-il lutté quelque temps contre les difficultés de la situation avec cette persévérance et cette foi profonde dans la bonté de Dieu qui distingue le juif honnête. Les voisins, tout en compatissant à sa peine, étaient trop pauvres eux-mêmes pour lui venir en aide. Il n’avait qu’à renoncer au fermage de l’auberge et à laisser saisir ce qu’il possédait.

Le frère du rendar, profondément touché de cette catastrophe, mit un coin de sa maison à la disposition de Jochenen et de ses enfans ; lui-même était chargé de famille et n’avait que de minces ressources.

Reb Herschel seul parut plutôt content qu’affligé d’un désastre qui devait rabattre l’orgueil du père de Freudele : — Tenez, lui dit-il, en tirant de sa poche trois cents florins, voilà mes épargnes, prenez-les. Je leur avais donné un autre emploi, mais vous en avez besoin plus que moi.

Comment exprimer la surprise et la reconnaissance du rendar ? Il appela les bénédictions du ciel sur la tête de ce digne jeune homme et promit de s’acquitter envers lui à bref délai. Fort heureusement des circonstances inespérées vinrent favoriser ces bonnes intentions. Le seigneur qui avait persécuté Freudele fut forcé par les dettes que lui avait fait contracter sa vie dissolue de vendre ses biens et le nouvel acquéreur se trouva être d’un caractère tout