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bien de la peine à fonctionner, et les esprits libres, qui goûtent peu les coteries et l’intransigeance, ne savent plus à quel saint se vouer ; ils cherchent leur place, ils ne la trouvent pas. Un ancien député, qui avait eu le chagrin de n’être pas réélu, nous disait un jour : « Il y a du bonheur dans mon malheur ; désormais je serai dispensé de la tâche ingrate d’avoir l’opinion de mon groupe. »

Le gros bon sens, the good common sense, nous enseigne qu’à chaque jour suffit sa peine, qu’un programme trop compliqué n’est le plus souvent qu’une lettre morte, que toute réforme sérieuse est une œuvre de longue haleine et que prétendre tout réformer à la fois, c’est se condamner au bousillage. Les réformateurs à outrance, qui abondent dans certaines assemblées, ne pensent pas avoir jamais assez de besogne ; ils s’attaquent du même coup à l’enseignement public, à l’impôt, à la magistrature, à l’armée. Dieu a mis six jours à faire le monde, il leur suffit de vingt-quatre heures pour le rebâtir par le pied. Leur impatience fiévreuse est toujours essoufflée ; ils s’imaginent que rien ne s’est fait, avant eux et que s’ils n’étaient pas là, rien ne se ferait, que s’ils avaient une minute de distraction, la société tomberait en langueur, que l’eau des fleuves cesserait de couler ; ils sont persuadés de bonne foi que si elle coule, c’est parce qu’ils la regardent. Dans tous les pays libres, le parlement possède le droit d’initiative en matière de législation, mais c’est de tous les droits celui dont il importe d’user avec le plus de modération et celui dont on abuse aujourd’hui avec le plus d’intempérance. Les gens entreprenans et précipités, qui veulent tout changer à la chaude, inquiètent imprudemment tous les intérêts et s’exposent à succomber sous une coalition de rancunes. Le 30 juillet 1873, un tribun assagi, M. Castelar, disait aux cortès espagnoles : « Je désire que la république soit fondée par les républicains ; mais je désire aussi qu’elle se fortifie en empruntant aux partis conservateurs cet esprit de gouvernement grâce auquel ils nous ont si souvent vaincus et éliminés de la vie publique dans toute l’Europe. N’êtes-vous pas frappés de ce phénomène, messieurs les députés ? Les partis avancés, auxquels nous faisons gloire d’appartenir, sont des météores disparaissans. Ils règnent quelques mois et s’évanouissent tout à coup, chassés non par leurs ennemis, mais par leurs propres passions, par leurs erreurs, par leur intempérance et par leurs fatales entreprises contre eux-mêmes. »

Dans les parlemens qui ne savent pas se discipliner, les députés qui aiment à faire parler d’eux, les députés féconds en propositions saugrenues, les députés tatillons, les députés touche-à-tout ont vraiment beau jeu. On les traite d’enfans terribles, mais on les écoute et quelquefois on les suit. Quand il n’y a pas de chefs, les hommes qui font le plus de bruit et se donnent le plus de mouvement finissent par faire leur trouée, et on prend au sérieux l’autorité qu’ils s’arrogent. Les députés tatillons ressemblent à ce gentilhomme du dernier siècle