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qui ne pouvait passer devant une fente de mur sans y mettre le doigt pour l’élargir ; sa manie l’avait rendu célèbre, et le roi Louis XV, touché de son mérite, lui donna un régiment. A force de fourrer leurs doigts partout, les députés tatillons deviennent quelquefois ministres, et alors ils changent bien vite d’humeur, ils se convertissent à la discrétion, mais le mal qu’ils ont fait subsiste, et beaucoup de gens qui envient leur fortune se règlent sur l’exemple qu’ils ont donné. Les sociétés n’aiment pas à se sentir livrées à la main de manipulateurs maladroits. Si elles se prêtaient facilement à toutes les expériences, cela prouverait qu’elles sont bien malades ; la résistance est le signe de la santé. Dans le temps où il était président du conseil dans le grand-duché de Bade, un homme d’état allemand d’un esprit supérieur, M. le baron de Roggenbach, s’écria un jour : « Le pays est pourri ; enfoncez le clou à l’endroit que vous voudrez. » Les clous qui entrent si facilement sortent avec la même facilité, et ce qui se fait en vingt-quatre heures, il suffit de vingt-quatre heures pour le défaire.

Le métier des parlemens, comme le dit encore le bon sens, est de tout contrôler. Ils sont tenus d’avoir toutes les vertus d’un bon contrôleur, et il est permis aux minorités d’en avoir tous les défauts. On ne peut leur en vouloir si elles ont l’humeur âpre et revêche, le caractère difficile, l’esprit de détail ; l’habitude de ne rien croire sur parole ; il faut leur pardonner d’être infiniment curieuses et très défiantes. Il leur arrive parfois de se mêler de ce qui ne les regarde pas ; c’est un péché véniel qui se commet souvent en Angleterre, quoi qu’en dise M. Strousberg. Un despote, comme l’a remarqué M. Bagehot, est en général un homme qui aime à s’amuser et qui ne donne aux affaires sérieuses que le temps qu’il dérobe à la cour, à son harem, à ses délassemens favoris. Un parlement, au contraire, est une réunion de gens qui ne vivent pas à la source des plaisirs ; la plupart n’ont pas de harem, ils s’ennuiraient s’ils ne travaillaient ; leur seule distraction est de faire partie du conseil d’administration de quelque société financière. « En établissant un parlement, nous dit le publiciste anglais, on confie l’autorité à un despote qui peut disposer de tout son temps, qui a une vanité sans bornes, qui a ou croit avoir une intelligence sans limite, et dont la curiosité fait la vie ; Aussi la curiosité du parlement s’étend sur toutes choses. Sir Robert Peel. voulut un jour avoir la liste de toutes les questions qu’on lui avait posées dans une seule séance du soir ; elles avaient rapport à cinquante sujets environ. Après le questionneur A, vient le questionneur B. Les uns adressent des questions par un désir réel de s’instruire, d’autres pour voir leurs noms dans les journaux, d’autres pour démontrer ainsi leur vigilance au collège électoral qui les surveille, d’autres encore pour faire leur trouée dans les régions gouvernementales, d’autres enfin parce qu’il est entré dans leurs habitudes de faire des interpellations à propos de tout. » M. Bagehot ajoute qu’un ministre