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partis, qu’il ne se flattait pas de convaincre. En dehors de ceux-là, s’il y avait des dissidens, des hésitans retenus encore par une vieille fidélité, par des souvenirs ou des antécédens, il fallait se garder de les offenser par des paroles amères, par des irritations et des représailles de parti ; il fallait aller sans crainte au-devant d’eux, « en faisant la moitié, les trois quarts et s’il le faut la totalité du chemin. » Il résumait cette politique en disant à Nantes, dans le palais de la Bourse : « Je suis, vous le savez, un partisan déterminé de la conciliation. Je la conseille partout, je la conseille surtout au parti républicain ; je la conseille aux républicains parce qu’ils sont aujourd’hui les plus forts et parce qu’ils sont au pouvoir. Or quand on est la majorité, on peut et on doit faire des choses qui ne sont pas permises quand on est la minorité. Je dis donc aux républicains : C’est à vous aujourd’hui de faire les avances, c’est à vous de ménager, de respecter les susceptibilités des autres partis. Si quelqu’un vous dit, comme je l’ai entendu dire quelquefois : C’est de la faiblesse, répondez : C’est de la faiblesse quand on est le plus faible ; mais quand on est le plus fort, c’est de la bonne politique… »

Il ne faut pas s’y méprendre, ce langage était assez sérieux pour être prémédité, réfléchi, et il était d’autant plus significatif qu’il se faisait entendre à Douai, à Boulogne, à Nantes, à Bordeaux au moment même où retentissait d’un autre côté le discours de Romans. Ce que pensait et ce que disait le ministre des travaux publics en 1878, le nouveau président du conseil le pense encore aujourd’hui sans nul doute. Il reste avec son programme, et si avec ces idées il a accepté la direction des affaires, c’est qu’il a cru possible de les mettre en action, d’en pénétrer ses collègues, d’amener la chambre à les sanctionner ; c’est qu’il a l’intention de laisser en chemin bon nombre de ces propositions qui seraient le contraire de sa république libérale et tolérante, de dégager toutes les questions de ce qu’elles ont d’irritant et de subalterne, de séparer ce qu’il peut y avoir de légitime et de sensé dans les opinions confuses d’une assemblée peu expérimentée de tout ce qu’il y a de futile ou de dangereux. Cela ne sera pas bien facile, nous en convenons, et M. le président du conseil aura peut-être à ramener plus d’un récalcitrant même parmi ses collègues et ses plus chauds alliés de la gauche ; ce n’en est pas moins une expérience digne d’inspirer un esprit courageux et dont l’insuccès même ne déparerait pas la carrière d’un homme public.

Oui, assurément, M. le président du conseil va se trouver tout d’abord dans une situation singulièrement difficile avec sa politique de modéré et ses alliés de l’union républicaine ; il sera dans l’alternative de paraître humilier ses idées de gouvernement et de conciliation devant ce qu’on appellera des nécessités parlementaires, ou de conquérir sa vie de tous les jours par la lutte, par la parole, en démontrant victorieusement à une chambre impatiente le danger de ses prétentions, de ses