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dit le père Jouvency, doit être faite de telle sorte que, quoique profanes, ils deviennent des hérauts du Christ (Christi prœcones quodam modo fiant). » N’oublions pas enfin que c’est des jésuites que date l’importance attribuée dans l’enseignement secondaire aux vers latins, ingénieuse et laborieuse mosaïque où la préoccupation des mots remplace trop souvent celle des idées.

Inutile d’insister sur les résultats d’un tel système. Ses méthodes, artificielles, superficielles, ne pouvaient former que des gentilshommes aimables, non des caractères virils, des esprits élevés, des citoyens. Voici le jugement de M. Bersot sur ce système d’éducation, tel qu’il fut pratiqué autrefois : « Pour l’instruction, voici ce qu’on trouve chez eux : l’histoire réduite aux faits et aux tableaux, sans la leçon qui en sort pour la connaissance du monde, les faits mêmes supprimés ou changés, quand ils parlent trop ; la philosophie réduite à ce qu’on appelle la doctrine empirique, et que M. de Maistre appel ait la philosophie du rien, sans danger qu’on s’éprenne de cela ; la science physique réduite aux récréations, sans l’esprit de recherche et de liberté ; la littérature réduite à l’explication admirative des auteurs anciens et aboutissant à des jeux d’esprit innocens… A l’égard des lettres, il y a deux amours qui n’ont de commun que le nom ; l’un fait les hommes, l’autre de grands adolescens. C’est celui-ci qu’on trouve chez les jésuites ; ils amusent l’âme. »

Tout opposées furent les tendances de Port-Royal, dont les petites écoles n’eurent jamais, il est vrai, le succès des collèges des jésuites. Le gouvernement, sans doute, leur fut hostile, jusqu’au jour où il les ferma violemment ; mais le rigorisme janséniste contribua pour sa part à éloigner les élèves. Il est pourtant difficile d’exagérer l’importance des réformes introduites par MM. de Port-Royal dans l’enseignement secondaire, et la célèbre circulaire de M. Jules Simon, du 26 septembre 1872, s’en est, ce semble, largement inspirée. Ils ont rendu d’abord à la langue française et aux exercices français la place qui leur revient de droit. Ils veulent que dans les classes élémentaires on exerce l’enfant à composer, dans l’idiome maternel, « de petits dialogues, de petites narrations ou histoires, de petites lettres, en leur laissant choisir les sujets dans les souvenirs de leurs lectures ; on leur fera aussi raconter sur-le-champ ce qu’ils auront retenu de leurs lectures. » Par là, Port-Royal fait appel au jugement plutôt qu’à la mémoire de l’enfant ; il cherche à solliciter l’éveil de la réflexion personnelle, ce que les jésuites regardaient comme un danger. Aux grammaires en latin, où les règles étaient présentées dans une versification tour à tour inintelligible et grotesque, il substitue les grammaires de Lancelot, claires, méthodiques, écrites en bon français, et ce Jardin des racines grecques dont nous avons encore récité les naïves décades,