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poussant jusqu’à ses dernières conséquences logiques, sans se préoccuper autrement des faits d’expérience ou des vérités d’observation qui restreignent, à chaque pas qu’on fait plus avant, l’autorité de la logique, et limitent le droit d’affirmer. Gorgias était plein d’idées, mais Hegel en débordait. Au XVIIe siècle, on était encore assez ingénu que d’estimer à son juste prix « l’abondance des pensées ». On s’y livrait d’abord, et ensuite, comme nous le dit du Fossé, on se mettait en devoir « de se couper bras et jambes. »

Bientôt dégoûté « d’un travail si pénible, » et le trouvant « un peu fort pour un jeune homme, » du Fossé s’imagina que Dieu l’appelait à se faire religieux de saint Benoît, et partit pour Saint-Cyran. Notez ici comme la piété de ces honnêtes gens est vraiment dégagée de tout amour-propre, et comme, pour aller à Dieu, jamais, ils ne trangressent rien d’humain. Du Fossé n’est pas sitôt arrivé à Saint-Cyran « qu’il commence à être tourmenté cruellement par le chagrin et l’ennui de s’être venu confiner en un tel lieu. » Croyez-vous qu’il balance ? A la vérité, pendant plusieurs jours, il « gagne sur lui d’étouffer le trouble de son esprit, » mais quand il voit clairement que « sa peine augmente de l’effort même qu’il fait contre soi, » c’est en vain que l’abbé de Saint-Cyran[1] essaie de le retenir et l’adjure, au nom de son salut éternel : du Fossé veut partir et il part. Et sa résolution prise, joyeux comme un écolier qui vient de secouer le joug, en attendant une occasion de quitter l’abbaye, le voilà qui excursionne dans les environs et s’en va visiter des forges de fer, « en une paroisse nommée Hazé, » étant de sa nature très curieux de toute sorte de choses, et voire un peu badaud. De même encore, quelques années plus tard, ce sera son père qui voudra qu’il choisisse un état et qui le poussera doucement vers celui de l’église et de la religion » : mais le père aura beau dire : du Fossé lui répondra qu’il est « persuadé qu’on peut bien travailler à son salut sans s’assujettir à d’autres règles que celles de l’Évangile et sans se lier par d’autres chaînes que les vœux de son baptême ; » et pas plus qu’il ne s’est fait moine, il ne voudra se faire prêtre. Il est dans le meilleur esprit de Port-Royal. Jamais nulle part on ne s’est fait un devoir plus impérieux qu’à Port-Royal de décourager les vocations douteuses, ni nulle part de soumettre les vocations les plus certaines au respect de la loi de nature. Quand la sœur de Pascal voulut entrer en religion, son père lui refusa son autorisation. Elle en écrivit à la mère Agnès : « Il ne faut plus penser, lui répondit l’honnête et grande abbesse, qu’à rendre vos devoirs à celui qui vous tient la place de Dieu[2]. » Et Jacqueline Pascal n’entra en religion qu’après la mort de son père. Voilà Port-Royal, et voilà le véritable esprit chrétien.

  1. M. de Barcos.
  2. Lettres de la mère Agnès, publiées par M. P. Faugère.