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Du Fossé se contenta donc de vivre chrétiennement et laborieusement. Il n’eût tenu qu’à lui d’entrer dans les grandes affaires, dans les ambassades même, par le moyen de M. de Pomponne. Il aima mieux suivre la fortune incertaine de Port-Royal ; souvent obligé par la persécution de changer de résidence et presque de se cacher, tantôt logé par le roi dans une chambre de la Bastille, et tantôt exilé dans ses terres. Il voyagea beaucoup pour sa condition et son temps, tantôt pour aller visiter ses parens en province, tantôt pour se donner quelque relâche, « ayant besoin de se promener pour être ensuite plus en état de travailler. » Ses dernières années furent plus calmes que les années de sa jeunesse : elles ne furent pas moins bien employées. Il mourut en 1698. Quelque temps avant sa mort, il avait achevé la rédaction et revu la copie de ses Mémoires. Attaqué dans le cours de l’année 1696 d’une paralysie de la langue, « les médecins et tous ses amis lui conseillèrent de s’abstenir du travail. » Il abandonna donc ses Explications de la Bible. Mais, ajoute-t-il, « me trouvant alors dans quelque embarras sur la manière dont je pourrais occuper mon temps, à cause de la vivacité naturelle de mon esprit, qui demande nécessairement une occupation réglée, Dieu m’inspira, autant que j’en puis juger, le dessein de m’appliquer à ces Mémoires. » C’est lui-même qui nous raconte tout cela : Connaissez-vous beaucoup d’auteurs de Mémoires qui se soient excusés avec une plus aimable et plus grave sincérité d’être obligés de parler d’eux-mêmes ?

Ce sont ces Mémoires que M. Bouquet vient de publier pour la Société de l’histoire de Normandie. Ce qu’on connaissait jusqu’ici tenait dans un petit volume in-12, de 514 pages. La collation du manuscrit n’a pas fourni moins de quatre gros volumes in-8o, d’environ chacun 300 pages. On voit si le premier éditeur en avait usé librement avec la prose de du Fossé. C’était au surplus l’habitude à Port-Royal que cette liberté qui nous paraît excessive, et les jansénistes du XVIIIe siècle en avaient gardé la tradition. Même, ils l’avaient exagérée, car, éliminant du texte de l’auteur toutes les particularités qui n’intéressaient pas directement Port-Royal, ils n’en avaient conservé, ou plutôt ils n’en avaient extrait que les chapitres où du Fossé, presque partout témoin oculaire, avait raconté pour sa part les vicissitudes de l’abbaye et du parti. Dans le quatrième volume, par exemple, le long récit d’un voyage en Bretagne et sur les bords de la Loire, qui ne remplit pas moins de 70 pages in-8o, le premier éditeur l’avait resserré, sans plus de façon, en 8 pages ’in-12. Dans le troisième volume, le récit d’un voyage en Flandre occupe un peu plus de 80 pages : on l’avait supprimé net, sans en faire mention seulement ; — et ainsi de tous les détails qui peignent, ainsi de toutes les singularités qui caractérisent l’auteur et son temps : au lieu d’un récit bien vivant, — l’un des plus abondans qu’il y ait en renseignemens privés sur le XVIe siècle, — un