Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 37.djvu/59

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les jeunes filles. On se souvient que la beauté de Mme Curchod avait fait autrefois sensation dans les cercles de Lausanne ; Suzanne Curchod avait également reçu de sa mère cet héritage non moins précieux. Le portrait de Duplessis, que la gravure a souvent reproduit, donne l’idée d’une personne qui dans son âge mûr devait avoir conservé une grande finesse de traits et une grande élégance de tournure. Mais ces agrémens, que le temps n’avait pu détruire, étaient relevés dans la jeunesse du modèle par un grand éclat de teint, que devaient bientôt altérer les épreuves d’une santé incertaine. Pour donner, au reste, une idée exacte de ce que Suzanne Curchod pouvait être dans cette première fleur de son printemps, c’est à elle-même que j’aurai recours, et, bien qu’il puisse paraître un peu crédule de tenir pour fidèle le portrait d’une femme peint par elle-même, celui que je vais citer et que je trouve écrit de sa main, répond assez aux témoignages de ses contemporains pour qu’il soit permis de n’en point mettre en doute la ressemblance.


MON PORTRAIT :

Un visage qui annonce la jeunesse et la gayeté ; le teint et les cheveux d’une blonde, animés par des yeux bleux, riants, vifs et doux ; un nez petit mais bien tiré ; une bouche relevée dont le sourire accompagne celui des yeux avec quelque grâce ; une taille grande et proportionnée, mais privée de cette élégance enchanteresse qui en augmente le prix ; un air villageois dans la manière de se présenter, et une certaine brusquerie dans les mouvemens qui contraste prodigieusement avec une voix douce et une phisionomie modeste ; telle est l’esquisse d’un tableau que vous pourrez trouver trop flatteur.


Cette belle plante villageoise ne pouvait orner longtemps le jardin d’un presbytère de campagne sans attirer les regards. Dans ce petit pays où tout le monde se connaît, où tout se voit, où tout se sait, le bruit ne tarda pas à se répandre que la fille du pasteur de Crassier était une personne accomplie qui joignait à tous les agrémens de son sexe les solides mérites de l’autre. Cette réputation amena bientôt au presbytère de Crassier d’assez fréquens visiteurs qui vinrent distraire la profonde retraite où, écrivait-elle plus tard, « elle avait passé son printemps. » Parmi ces visiteurs, les plus nombreux étaient de jeunes ministres, qui, sous prétexte de suppléer M. Curchod dans ses fonctions pastorales et de monter en chaire à sa place, venaient passer la journée du dimanche à Crassier, et s’en retournaient à Genève ou à Lausanne le lundi. Attirés par la perspective d’une aussi agréable hospitalité, ces jeunes suppléans de M. Curchod ne se faisaient sans doute point beaucoup