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dans le département de l’Hérault avant l’apparition du phylloxéra. » Mais la cause principale de la diminution du nombre des ouvriers agricoles, c’est qu’un grand nombre d’entre eux ont pu avec leurs économies acheter quelques parcelles de terre qu’ils cultivent pour leur propre compte comme propriétaires. Cette cause est générale, comme le prouvent les réponses des correspondans de la Société nationale d’agriculture[1], et il n’y a pas lieu de s’en affliger.

Quels qu’en soient les motifs, la pénurie de la main-d’œuvre est très réelle, et, malgré les émigrations périodiques des ouvriers belges, piémontais ou espagnols qui viennent pendant les moissons apporter le concours de leurs bras, malgré l’emploi plus fréquent des machines, il devient de plus en plus difficile pour l’agriculteur de faire exécuter les travaux que comporte l’exploitation de la terre. Dans les départemens de la Somme, de l’Aisne, et même de Seine-et-Marne, des fermes ont été abandonnées, faute de bras pour les cultiver, et des centaines d’hectares restent en friche. Nous ne voyons à cela d’autre remède que de transformer la culture et de remplacer les terres arables par des herbages ou des bois. Le temps des familles attachées à la glèbe est passé, et toutes les objurgations n’empêcheront pas les ouvriers de chercher à tirer le meilleur parti possible de leurs bras.

Peut-être d’ailleurs ; convient-il de ne pas trop s’effrayer, car ce n’est pas d’aujourd’hui que se produisent ces plaintes ; elles étaient les mêmes il y a cent ans, et si l’on voulait remonter plus haut encore, on en retrouverait l’écho dans la Maison rustique de Ch. Estienne, publiée en 1533. — « Au temps présent, dit-il, les serviteurs ne s’ingèrent et s’offrent à la foule ainsi qu’au passé, et par ce, il n’est plus commun à tous maîtres d’en choisir un entre plusieurs, mais convient prendre ce qu’on peut trouver. A cette cause, il est nécessaire à un maître de connaître les différens naturels des hommes de nations diverses ; car le Normand veut être mené tout en paix et le Picard tout chaudement ; le vrai Français est prompt et inventif, mais il ne se hâte qu’en nécessité. Vous avez à choisir entre les Bryais, le fin Bryais, le fier Bryais et le sot Bryais. Le Limousin est soigneux et épargnant, mais, si vous n’y prenez garde, il fera plutôt son profit que le vôtre. Le Gascon est chaud et prompt à la colère. Le Provensal haut et qui ne veut être reprins. Le Poitevin cauteleux. L’Auvergnac industrieux, pénible et endurant du temps et de la fortune ; mais s’il fait votre gain, il en participera s’il peut. L’Angevin,

  1. Voir dans l’Enquête sur la situation de l’agriculture les réponses de MM. Montseignat pour le département de l’Aveyron, de Longuemar pour celui de la Vienne, Le Corbeiller pour celui de l’Indre, de M. de Gueyraud pour celui des Basses-Alpes, de M. de Kersanté pour celui des Côtes-du-Nord, etc.