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Tourangeau et Manceau sont fins, subtils et amateurs de leur profit. Le Chartrain, Beauceron et Solognois, laborieux, paisibles, propres et resserrans. Le Champenois et Bourguignon francs et de bon cœur, mais arrêtés à leur opinion, et les faut souvent laisser faire jusqu’à l’épreuve du contraire. » On voit que de tout temps on s’est plaint, et qu’après tout les choses n’en ont pas plus mal marché.

Toute la partie de la population agricole qui vit de son travail n’a pas eu à souffrir de la crise actuelle, puisque les salaires n’ont fait que croître ; il en a été de même, ou à peu près, de la classe des petits propriétaires cultivant par eux-mêmes et consommant directement leurs produits. Il ne reste donc en réalité que les propriétaires louant leurs terres et les fermiers qui aient été réellement éprouvés ; mais leurs souffrances, indépendamment des causes énumérées plus haut, proviennent surtout d’un changement qui tend à s’introduire dans leurs relations réciproques et d’une transformation qui s’opère dans le mode d’exploitation de la terre.

Le fermage à prix d’argent qui, jusque dans ces derniers temps, paraissait être le système par excellence, semble, non-seulement en France, mais aussi en Angleterre, être l’objet d’une certaine réaction. La plupart des propriétaires, qui tout récemment encore, arrivaient facilement à louer leurs terres et trouvaient toujours à l’expiration des baux à les renouveler avec augmentation de prix, peuvent à peine aujourd’hui retenir leurs fermiers aux anciennes conditions ; le plus souvent ils sont obligés de réduire les fermages et de faire des concessions pour avoir des amateurs. Tandis qu’ils s’enrichissaient autrefois pour ainsi dire en dormant, puisqu’à chaque période de neuf ans le loyer et par conséquent la valeur de la terre s’accroissait de 5 à 10 pour 100, ils en sont aujourd’hui à se demander si ce capital, qu’ils croyaient si sûr, ne va pas s’amoindrir dans leurs mains, et si, pour en tirer parti, ils ne vont pas être obligés de conduire eux-mêmes la charrue.

Le prix de la terre, qui s’était ainsi élevé à un taux hors de proportion avec le revenu qu’elle fournit, tend, non-seulement à reprendre son ancien niveau, mais même à tomber au-dessous ; puisque, sur certains points, on ne trouve de fermiers à aucun prix. Cet abandon doit être attribué aux conditions nouvelles que les progrès de l’agriculture ont faites aux fermiers. Tandis qu’autrefois la culture de la terre était pour ainsi dire abandonnée à des paysans grossiers, ignorans et dépourvus de ressources personnelles, il faut aujourd’hui, pour exploiter une ferme d’une certaine importance, disposer d’un capital parfois considérable, il faut avoir une instruction qui suppose de longues études et une certaine culture de l’esprit. L’homme qui se trouve dans ces conditions a naturellement le sentiment de sa valeur ; il a devant lui un champ