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ordres, tour à tour opprimés ou trompés par lui, sentaient médiocrement les mérites supérieurs et les solides résultats d’une politique égoïste en apparence, sans scrupules dans ses moyens, qui, tout en travaillant avec une persévérante habileté à la grandeur nationale, semblait n’avoir eu d’autre but que d’exagérer le pouvoir d’un seul homme. Avant d’obtenir la tardive justice de l’histoire, ce règne si utile à la France, méconnu dans ses bienfaits, mis en cause pour ses fautes seules, qualifié de « régime sinistre » à la tribune des états, soulevait une réprobation presque unanime. Masselin, esprit très politique, a fort bien noté et retracé les dispositions générales, l’humeur dominante de cette assemblée, les brusques mouvemens d’opinion et les courans d’influences contraires qui agitaient l’ardeur inexpérimentée de ces trois cents députés. Le parti qu’on pourrait appeler libéral formait la majorité ; l’historien caractérise d’un seul trait ces mandataires du peuple, récemment arrivés du fondée leurs bailliages avec l’impatiente vivacité de leurs espérances : « Ils avaient, dit-il, le cœur chaud et la parole libre, ferventis erant animi et liberi verbi. » Lui, Masselin, chef de la députation de Normandie, officiai de l’archevêque de Rouen, renommé dans toute la contrée pour sa parole nette et ferme, pour son savoir en finances, il figurait au premier rang des patriotes, ainsi que le Bourguignon Philippe Pot, seigneur de la Roche ; son opposition déclarée au despotisme le mit aussitôt en crédit : élu d’emblée président de son bureau, il prit, comme nous dirions, la spécialité des questions de budget. Les défenseurs de l’ancienne cour, secrètement encouragés par la nouvelle, étaient en minorité ; entre ces deux fractions très inégales louvoyait et intriguait un parti flottant, le groupe malfaisant des ambitieux, maligna cohors, comme l’appelle Masselin.

Dans le programme imposé par les cahiers aux délibérations des états, deux points d’une importance capitale primaient tout le reste : l’organisation du conseil de régence et le vote de l’impôt. Par qui seraient nommés les membres du conseil ? A qui appartenait le droit de les choisir ? Nommer ceux qui gouvernent, c’est être maître du gouvernement ; si donc on reconnaissait aux députés le droit d’instituer le conseil de régence, c’était la nation qui allait se gouverner elle-même durant l’interrègne. Cette controverse touchait au principe organique de la monarchie, à l’essence du pouvoir des états. Pour faciliter le travail, les députés s’étaient partagés en six bureaux ou commissions ; les grands débats et les votes décisifs étaient réservés à l’assemblée générale : dans les bureaux, comme dans l’assemblée, la discussion, sur ce premier point, fut longue et orageuse. Partisan décidé de la souveraineté des états, Masselin se disposait à la soutenir de sa parole, quand le seigneur de La Roche, s’emparant de l’estrade qui servait de tribune, emporta