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L’amour et la lumière, tels sont les deux élémens constitutifs de ce Cosmos de corps et d’âmes, les deux principes qui lui donnent sa cohésion, son unité et son ordonnance merveilleuses. Observez, par exemple, comme c’est toujours la même flamme divine qui traverse, anime et met en mouvement les trois royaumes mystérieux : elle brûle et consume les pécheurs endurcis dans les régions infernales ; elle purifie et éclaire les repentis dans leur séjour d’expiation ; elle illumine et réjouit les élus dans le « temple angélique » où tout est éclat et joie, où les objets, les esprits se distinguent entre eux, non plus par la forme ni même par la couleur, mais seulement par la lumière qui est en eux, par leur splendeur immanente[1]. C’est le même amour divin aussi, le même Christ qui, crucifié dans chacun de nos péchés, ressuscite dans chacun de nos repentirs, — et qu’il est saisissant entre autres le tableau de ces âmes au moment solennel où, parvenues au terme de leurs expiations, elles quittent le Purgatoire, à ce moment « où le ciel reprend ce qui a toujours été à lui[2] ! » À chacune de ces délivrances toute la montagne s’ébranle, comme s’est ébranlée la terre lors de la résurrection, et les airs retentissent de ce chant de Gloria in excelsis qui a salué jadis la naissance du Fils de Dieu !.. Ni créateur, ni créature, ne furent jamais sans amour, dit le poète dans un passage célèbre de l’Enfer : l’amour est « naturel et sans erreur, » c’est-à-dire immuable et instinctif dans les corps privés de raison ; il est « spirituel et faillible » par contre dans tout être touché de la divine lumière, il y est la semence de toute vertu, comme de toute œuvre qui mérite punition[3]. — Poursuivez ainsi le symbolisme continu de la Divine Comédie depuis les profils les plus saillans jusqu’aux coins et aux pénombres les plus reculés, partout vous retrouverez cette même donnée fondamentale de la lumière et de l’amour ; et il n’est pas jusqu’à la figure de Béatrice qui ne vous apparaîtra alors dans sa signification précise, et que je crois la seule véritable. Elle vous apparaîtra comme une personnification entre tant d’autres, — la plus éclatante seulement, la plus humaine et la plus suave, — de la grande idée d’attraction universelle qui anime l’ensemble de l’œuvre ; et dans les strophes qui exaltent « l’ancien amour et l’ancienne flamme, » vous ne reconnaîtrez qu’un accent personnel et intime ingénieusement mêlé et confondu avec la vaste harmonie des sphères qui forme le thème dominant de tout le chant « sacré. »

Car ce chant est à la fois une épopée générale et un récit tout

  1. Parad., X, 42.
  2. Purgat., XX, XXI.
  3. Purgat., XVII, 91-105.