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Rhône et de la Durance, qui atteignent 5 à 6 mètres au-dessus de l’étiage, ont eu pour effet de recouvrir à plusieurs reprises toute la plaine d’une véritable mer temporaire, dont les vagues, chargées de boues et de limons, ont déposé en se retirant les épaisses couches d’alluvions que nous voyons aujourd’hui livrées à la culture.

On peut donc facilement se rendre compte de l’instabilité et des variétés d’aspect qu’a dû présenter dans la longue série des siècles toute cette plaine tour à tour submergée et atterrie soit par les divagations et les débordemens du Rhône, soit par les tempêtes et les irruptions de la mer. Si la mer primitive a baigné le pied des collines qui courent de l’est à l’ouest entre Beaucaire et Cette, la ligne du rivage s’est peu à peu éloignée devant la marche progressive des atterrissemens ; les vagues, en déferlant sur la plage formée de matières très meubles, ont remanié et amoncelé sur place tous les débris terreux et sablonneux que les divers bras du fleuve déposaient sans cesse à leurs embouchures variables, et ont construit de longues digues parallèles au rivage qui ont peu à peu rattaché à la terre une partie du domaine maritime. Ces cordons littoraux, d’abord sous-marins, se sont peu à peu développés, ont émergé au-dessus de l’eau et ont bientôt constitué de nouveaux rivages plus ou moins continus, fractionnés par des coupures appelées graus (gradus, passage), qui mettaient en communication les eaux des étangs avec celles de la mer ; et c’est ainsi que s’est lentement formée cette partie de notre frontière maritime que les géologues ont si bien désignée sous le nom d’appareil littoral et qui comprend une interminable succession de marais, d’étangs et de dunes mouvantes, tous orientés suivant la direction générale de la côte et régulièrement alignés en chapelet dans une immense plaine déserte et sans relief, composée d’alluvions tour à tour fluviales et paludéennes, de fondrières pestilentielles et de terres vagues imprégnées les unes d’eau douce, les autres d’eau salée.

Il est difficile, pour ne pas dire impossible, de suivre à travers les siècles les variations de ce territoire essentiellement instable. Chaque irruption de la mer, chaque inondation du fleuve a dû nécessairement modifier la profondeur, l’assiette et le contour des étangs ; les différens bras du Rhône lui-même ont bien souvent changé de direction et même de nombre dans cette plaine horizontale où rien, dans le principe, ne pouvait contenir et discipliner les eaux des grandes crues dans des lits nettement déterminés. On voit encore autour d’Aigues-Mortes les cuvettes desséchées et atterries de ces anciens bras du fleuve ; on les appelle les « Rhônes morts ; » ce ne sont plus que de larges sillons où l’eau croupit de place en place, et qui seraient cependant encore de véritables canaux navigables si les travaux d’endiiguement, qui ne datent que de deux ou trois