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couches successives de limon, en dessalant d’une manière progressive tous ces terrains imprégnés d’eau de mer et par cela même impropres à la végétation, constituaient le meilleur et le plus sûr agent de fertilisation et pouvaient, avec le temps, transformer ces steppes incultes en excellentes terres arables ; mais on se souciait peu alors d’améliorations agricoles à longue échéance, dont les générations suivantes auraient été les seules à profiter, et qu’il aurait fallu payer peut-être au prix de la perte des salines, source féconde de revenu pour la couronne d’abord, pour les fermiers ensuite. Aussi ce fut bien moins pour défendre le territoire lui-même contre les inondations que pour conserver les salines de Peccais que François Ier fit creuser à grands frais, en 1532, une dérivation artificielle du Rhône qui rejetait toutes les eaux du fleuve à l’est, et qu’on appela « la grande brassière du Rhône. » Le fleuve ne coula plus dès lors au sud de la ville d’Aigues-Mortes ; le nouveau lit, qui forme aujourd’hui la limite occidentale de la petite Camargue et sépare le département du Gard du département des Bouches-du-Rhône, fut appelé le « Rhône vif ; » son embouchure à la mer prit le nom de « Grau neuf, graou-naou, » qu’elle a conservé. Les bras délaissés du fleuve ne devinrent bientôt plus que des tranchées sans issue, remplies d’eau saumâtre et croupissante. Le Rhône de François Ier n’a pas tardé à subir le même sort ; il n’est plus navigable depuis longtemps ; les eaux y sont presque stagnantes. Le Grau neuf, oblitéré par les sables, ne s’ouvre à la mer que d’une manière intermittente, et lorsque des pluies persistantes ou des crues exceptionnelles ont fait gonfler les eaux de tous les étangs. Le Rhône vif est devenu à son tour un Rhône mort.

Ce Rhône vif longeait au sud et à l’est les salines de Peccais et permettait ainsi de les desservir avec la plus grande facilité. Un siècle et demi plus tard, vers 1680, on ouvrait au nord les canaux du Bourgidou et de Sylve-Real. Les salines étaient ainsi défendues à la fois des inondations du Rhône par des digues de ceinture et entourées de tous côtés par des voies navigables : au sud et à l’est, par le lit artificiel du fleuve, à l’ouest et au nord par les canaux de Sylve-Real et de Bourgidou nouvellement construits. Une écluse mettait en communication ces canaux et le Rhône vif ; elle existe encore aujourd’hui et porte toujours ce même nom de Sylve-Real.

Cette disposition était très favorable à l’expédition des sels vers l’intérieur du royaume ; car il n’existait point alors, il ne pouvait même pas exister matériellement de routes toujours carrossables dans un pays bas, entrecoupé de marécages, de fondrières, et balayé par les sables mouvans. Le Rhône était la seule voie