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blocus ! « Être prisonnier si près du but, s’écrie-t-il, a été pour moi dans toutes mes expéditions arctiques le contre-temps le plus sensible à supporter ; mais je dois m’en consoler par le résultat atteint, sans précédent dans les voyages polaires, ayant de plus un bon port d’hivernage et la perspective de pouvoir atteindre le Japon l’été suivant. »

Quand l’époque arriva où les Tchouktchis levèrent leurs tentes pour aller chercher une meilleure contrée de pêche, ils vinrent en masse prendre congé de la Vega, sachant bien qu’ils ne s’en retourneraient pas les mains vides. « Je voulus aussi, raconte M. Nordenskjöld, profiter de cette occasion pour aller visiter Naskaj, cet eldorado vers lequel se rendaient en masse nos voisins de Pitlekaj. En compagnie de Ratschilen, un de mes amis de cette bourgade, je quittai la Vega, à cinq heures du soir, sur un petit traîneau tiré par six chiens seulement ; il était si bien conduit que nous pûmes dépasser, en route, d’autres traîneaux fortement chargés, il est vrai, mais attelés de vingt chiens.

« Les grands traîneaux ne sont employés que pour les voyages d’une longue durée, spécialement au printemps, lorsque des Tchouktchis se rendent aux foires de Maskowa, d’Anadyr et d’Anijuisk, près de Kolyma. Là, ils échangent des peaux et des dents de morse contre du tabac et du genièvre, que les Américains apportent tous les ans en venant visiter la péninsule Tchouktchisse.

« Deux femmes venant de la Vega, où, à leur grande joie, elles avaient reçu, entre autres choses, des bouteilles et des boîtes de conserves vides qu’elles utilisent en guise d’assiettes et de cuillères, passèrent d’un façon allègre à côté de nous, ayant encore à parcourir à pied 16 milles anglais avant de rentrer chez elles. Le lendemain, nous les vîmes dans leur demeure à Téjapka, où elles étaient arrivées à quatre heures du matin. Nous fûmes très étonnés de les voir travaillant comme si elles ne venaient pas de passer deux nuits à marcher. Les Tchouktchis, à vrai dire, ne connaissent pas la fatigue ; durant un voyage, je vis mon guide, conducteur de rennes, faire, en courant au-devant de mon traîneau, 60 milles anglais. »

En passant devant Irgonouk, le professeur Nordenskjöld voulut serrer la main à quelques amis Tchouktchis qu’il y connaissait. Ces derniers l’accueillirent parfaitement, et pendant le repas auquel il fut convié, l’explorateur reçut la visite de plusieurs autres braves gens de sa connaissance. Comme c’était le moment de la chasse des phoques et que leur chair rôtie est pour les Tchouktchis un mets friand, M. Nordenskjöld put s’en régaler. Il lui trouva un goût de renne grillé. On fait aussi avec le phoque