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papauté. On est donc maintenant en mesure d’écrire sine ira et studio l’histoire du pontificat durant lequel, si l’on excepte le règne de Pie IX, se sont opérées les transformations les plus graves dans la nature du pouvoir temporel. La papauté est-elle essentiellement liée au séjour du pape en Italie? Voilà une question que le XXe siècle agitera, peut-être avec angoisse. Le XIVe siècle vit cette question attaquée avec une rare franchise; le XVe la résolut en faveur de l’Italie. Sans vouloir préjuger la solution de l’avenir, il est intéressant de savoir comment, dans le passé, cette question en vint fatalement à se poser, avec quelle inquiétude les sages l’accueillirent d’abord, et avec quelle sérénité les vrais politiques finirent par en prendre leur parti.


I.

La papauté, en devenant, surtout depuis la fin du Xe siècle, une institution bien plus européenne que romaine ou italienne, amena de bonne heure le phénomène de Français, d’Allemands, d’Anglais, revêtus, en tant qu’évêques de Rome, du titre de chefs de la chrétienté. Pour ne parler que de la France, elle avait donné au saint-siège Silvestre II, Urbain II, Urbain IV, Clément IV, Martin IV, quand la victoire de Philippe le Bel sur la papauté altière créée par Grégoire VII mit pour longtemps entre les mains du clergé français la direction générale des affaires de l’église. Avec Clément V, une période toute nouvelle commence. Des étrangers maîtres dans Rome au nom de la primauté religieuse que Rome elle-même avait proclamée, cela était tout naturel; cela s’était vu fréquemment; on avait vu également des pontifes faire des absences prolongées de leur capitale; mais ni au XIe , ni au XIIe ni au XIIIe siècle, on n’aurait admis l’idée qu’un pape pût se faire couronner ailleurs qu’à Rome, se dispenser pendant toute la durée de son pontificat de paraître à Rome, choisir hors d’Italie une capitale pour l’exercice de sa double souveraineté. Voilà ce que fit Clément V, non par suite d’un plan très fortement calculé, mais par une sorte de nécessité. Les divisions de l’Italie, la turbulence des factions romaines, avaient rendu le séjour de la papauté à Rome presque impossible. Boniface VIII, d’ailleurs, avait, par ses violences, compromis à jamais la politique générale suivie, non sans gloire, par les grands papes du moyen âge. Clément V ne fut pas l’auteur d’une pareille situation ; il s’y prêta; il ne fut pas supérieur à son temps, il céda aux courans qui dominaient, et cette complaisance le conduisit à une fortune vraiment inouïe.

Bertrand de Got était né au château de Villandraut, près d’Uzeste, dans le territoire de Bazas. Il appartenait à la première noblesse du pays. Son aïeul, Arnaud Garcias de Got, était frère de G. Benquet,