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mais, quoique plus âgé, il l’entoura de respect, tant Prosper de Barante, par sa justesse d’esprit, par la maturité précoce de son jugement, par ses rares facultés de discernement, par ses qualités de pondération, par sa dignité morale, avait su de bonne heure s’acquérir d’autorité. Montlosier, dès qu’il l’eut connu, le prit pour confident de ses pensées, sans jamais pouvoir lui faire partager ses convictions, mais aussi sans jamais avoir eu à regretter de lui avoir donné sa confiance.

Il avait définitivement quitté l’Angleterre et s’était fixé à Paris en mai 1802. Son amie Mme de Montregard lui avait offert l’hospitalité dans son hôtel de la rue du Helder. Il essaya de reprendre la publication du Courrier de Paris et de Londres.

Le prospectus, qui est daté du mois de juin, déclare que le principal objet du journal sera de bien faire connaître l’Angleterre ; c’était une entreprise impossible avec une censure ombrageuse. Le 11 septembre, le Courrier était supprimé. Le prétexte fut une querelle futile avec le Bulletin de Paris, dont le rédacteur, M. Barbet, avait publié que Montlosier, avant la révolution, débitait dans ses montagnes du vin clairet. Comme indemnité de cette confiscation, il reçut un traitement de six mille francs et fut attaché au ministère des affaires étrangères pour des travaux extraordinaires.

Quand on n’appartenait pas au monde officiel, sous l’empire, ou quand on ne jouait pas un grand rôle militaire, on ne pouvait confier à ses correspondans que de rares révélations sur les événemens extraordinaires qui s’accomplissaient. Il n’y avait plus de salons à Paris ; la gloire du consulat et des premières années qui le suivirent faisait disparaître dans son éblouissement toutes les taches. En province, on ne connaissait que les récits merveilleux rapportés de temps à autre par des officiers sortis la plupart des rangs de la démocratie. Peu à peu cependant les enivremens des victoires cessaient, et la conscription faisait pleurer les mères. Ceux des paysans qui n’étaient pas aux armées, tout entiers à la joie d’être propriétaires d’un sol libéré, plaidaient contre les contrats de vente qui pouvaient avoir une origine féodale. La reconstitution de la société issue de la révolution et la lassitude des luttes civiles ne donnaient pas de place aux préoccupations politiques.

Les lettres de Montlosier, de 1803 à 1814, sont donc peu intéressantes. Bien que lié avec Chateaubriand, il n’était pas admis dans son monde. Il ne rencontra qu’une fois la femme qui était devenue l’âme de la société des Joubert, des Molé, des Fontanes, celle qui attachait par sa grâce mélancolique et languissante tous les hommes supérieurs qui l’approchaient, la grande dame si élégante et si frêle qui allait mourir désespérée à Rome dans les bras de René. Nous voulons parler de Pauline de Beaumont-Montmorin.