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s’avisa plus tard d’y déchiffrer une affreuse « comédie albigeoise; » illuminé par les enseignemens de Rossetti, et peut-être bien plus encore par ceux de la révolution de février, M. Aroux dénonça le grand Florentin comme le plus dangereux des malfaiteurs[1]. Les protestans zélés, à leur tour, ne se sont pas refusé la joie de découvrir quantité « d’élémens réformateurs » dans les terzines dantesques et de saluer un glorieux précurseur de Luther dans le poète immortel qui a lancé tant de traits enflammés contre la corruption de l’église, contre ces indulgences surtout, « dont saint Antoine engraisse son porc et beaucoup d’autres encore qui sont pires que des porcs[2]. » Aucune de ces étranges suppositions n’a cependant pu résister à un examen tant soit peu sérieux, et, à l’heure qu’il est, la parfaite orthodoxie du « poème sacré » ne fait plus question pour tout critique éclairé. Nombreuses sans doute et terribles sont les accusations portées, dans ce poème, contre la politique de la curie romaine et le relâchement du clergé. Depuis la scène dans le cercle infernal des simoniaques où, plongé dans un trou étroit, la tête en bas, les pieds en l’air livrés aux flammes, le pape Nicolas III, se trompant à l’approche de Dante et le prenant pour Boniface VIII, alors encore sur le trône pontifical, lui crie: « Est-ce toi, Boniface? Comment! c’est déjà toi?.. » depuis cette scène dont l’audace d’invective n’a point de pareille dans toute l’œuvre d’Aristophane, jusqu’aux paroles que prononce saint Pierre au paradis contre le saint-siège dégénéré, — paroles vengeresses qui font rougir tout le ciel[3], — quelle série de diatribes amères, sanglantes, inoubliables ! Gardons-nous cependant de voir là la moindre atteinte au dogme de la papauté, le moindre doute sur la divinité de son institution. Au moyen âge, la parole était d’autant plus libre que les cœurs étaient inébranlablement soumis. Déjà saint Bernard reprochait au clergé de penser bien plus « à vider les poches qu’à extirper les vices des ouailles; » et que de fois le langage des grands docteurs de ces siècles, le langage d’un Gerson, d’un Clémengis, d’un d’Ailly égale en violence celui d’Alighieri! Il faut bien le dire, l’église de ces temps n’avait point les susceptibilités de nos jours...


L’ABBE DOM FELIPE. — Permettez, mon prince, si l’église au moyen âge était tolérante pour les reproches plus ou moins fondés, — in dubiis libertas, — c’est qu’elle savait que le principe de la foi était sauf: in necessariis unitas...

  1. E. Aroux, Dante hérétique, révolutionnaire et socialiste; Paris, 1854.
  2. Parad., XXIX, 118-126.
  3. Inf., XIX, 52-57. — Parad., XXVII, 28-30.