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dans ses propres états ; que cependant, sur les vives instances de lui, Vioménil, ils avaient consenti à attendre le résultat des représentations que M. de Melius avait promis défaire au duc. M. de Melius, remerciant le comte de sa courtoisie et de sa prudence, lui lut la copie de la dépêche qu’il avait adressée à son prince ; elle était, telle, en effet, qu’il l’avait dite et répondait tout à fait au désir de M. de Vioménil.

Le soir même, M. de Melius adressait une nouvelle dépêche et trois jours plus tard, il recevait par un envoyé spécial la réponse si impatiemment attendue. Le duc, averti de l’attitude énergique des Français, si spirituellement improvisée par la fierté patriotique d’un seul homme, non-seulement ajournait l’ordre de licenciement, mais confiait à des officiers de sa maison le soin de fournir à l’armée du prince de Condé les meilleurs cantonnemens que le pays pourrait offrir. Pure courtoisie d’Allemand ! Ces cantonnemens étaient dans l’électorat de Mayence, et le prince français n’allait plus avoir de motif pour prolonger son séjour sur une frontière dont l’Empereur l’écartait par la ruse, n’ayant osé continuer la menace.

Cette poursuite de M. de Melius, ce mélange de finesse et d’audace étaient dans les habitudes du comte de Vioménil, qui a laissé un renom légendaire sur les bords du Rhin, en Russie, en Portugal, partout où il a porté si haut le respect de son pays et la fidélité de ses convictions. Les Allemands racontent qu’on le vit maintes fois, durant l’émigration, malgré son âge, dans les explosions de son humeur chevaleresque, en appeler à son épée pour défendre le nom français qu’il croyait insulté ; et lui-même avoue s’être emporté jusqu’à menacer le général baron de Stein de coups de canne.

La nécessité de battre en retraite jusqu’à Mayence contrariait fort les plans de M. de Vioménil. Les correspondances échangées entre le prince et lui marquent les nuances, les soubresauts, les avortemens successifs de leurs combinaisons avec une vivacité de style et une franchise d’impression que les citations textuelles seules peuvent rendre. En même temps que se produisait l’incident d’Oberkirch, Condé, sur les instances de Vioménil, avait soumis au comte d’Artois la marche des pourparlers de Strasbourg et divers plans imaginés pour répondre aux différentes éventualités qui pouvaient se produire. Les princes, dans l’ignorance où ils étaient encore de la brusque démarche du duc de Wurtemberg et tout remplis des illusions dont les leurraient le comte de Cobentzel, M. Heyman et l’abbé de Calonne, se décident à formuler par écrit leurs intentions, comme Condé s’était le premier résolu à le faire, un mois auparavant, le 10 janvier.

Le 5 février 1792, les frères du roi, comprenant trop tard que