Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/428

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leur hésitation si longtemps prolongée a compromis les intérêts de la dynastie, sortent enfin de leur prudente réserve et adressent au prince de Condé une dépêche collective très nette et dont l’effet, six mois plus tôt, aurait pu être décisif. Cette dépêche, dont voici le texte, est l’une des pièces inédites qui jettent le plus de lumière sur la situation politique des émigrés.


Nous sentons vivement, notre cher cousin, l’extrême embarras de votre situation et nous y prenons beaucoup de part ; mais il ne faut pas qu’elle vous fasse préférer les conseils de votre courage à ceux de la prudence.

Nous persistons à ne vouloir aucune opération partielle et de médiocre importance, telle que serait la prise de possession d’une petite place comme Huningue ou Fort-Louis, quelque facilité que vous eussiez à vous en rendre maître, parce que cela ne mènerait à rien et pourrait déranger le plan général, ou donner prétexte de nous imputer d’y avoir nui. Il est vrai que l’impératrice de Russie ne pense pas de même et qu’elle croit qu’il serait toujours avantageux de prendre poste en France, ne fût-ce que dans une petite place. Mais nous savons que cela déplairait à celui de qui nous avons à cœur de suivre les intentions. Il désapprouve également toute entreprise dont le succès ne serait pas assuré ou qui serait de peu de valeur.

La reddition de Strasbourg ne serait pas de ce genre. Comme elle nous procurerait un point d’appui très solide et qu’elle entraînerait bientôt la soumission de toute la province, même aussi celle des provinces adjacentes, on ne pourrait pas la regarder comme une entreprise partielle ou hasardée, et, si cette ville nous ouvrait ses portes, si la garnison fidèle à f on Roi nous y appelait, si nous étions sûrs de nous en rendre maîtres, il ne nous serait pas permis de nous y refuser, ni d’hésiter à remettre une place aussi importante au pouvoir de Sa Majesté.

S’y établir serait un coup de partie décisif et qui aurait pour tout le royaume les suites les plus avantageuses. La crise actuelle en augmenterait encore le prix; car, la guerre paraissant inévitable, il serait bien intéressant que la première ouverture se fit par des Français pour que les mouvemens des puissances étrangères conservassent le caractère d’auxiliaires.

Ce serait aussi le moyen d’épargner bien du sang et le seul peut-être qui pût prévenir la bizarre fatalité qui ferait paraître le Roi réuni à toute la nation contre ceux qui viendraient le secourir.

Jamais explosion intérieure ne pourrait éclater plus à propos et il ne serait pas possible de la faire passer pour une agression, puisque la jonction des Français fidèles rentrant dans leur patrie aux Français fidèles qui les y auraient appelés n’a certainement rien d’hostile, et que la soumission d’une ville à son légitime souverain, représenté par ses