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la confiscation des propriétés du clergé, un moyen facile et prompt de payer ses dettes et de relever son crédit. Ces biens ont été vendus aux enchères par quantités énormes, et le produit ainsi obtenu doit avoir atteint, entre les années 1856 et 1878, le chiffre de 2 à 3 milliards de francs, peut-être davantage. Or il n’existe de ces sommes ni estimation totale ni compte détaillé et à jour. Le fait avéré, c’est que quelques personnages puissans ou protégés des puissans n’ont pas payé leurs achats et n’en continuent pas moins à jouir des propriétés.

Si l’on recherche les causes de cette désorganisation, on voit que le ministre des finances a toujours occupé, sauf au temps de M. Bravo Murillo, une position inférieure dans le cabinet, quand il devrait être, au contraire, le président du conseil. De là l’obligation pour lui de céder sur tous les points aux exigences de ses collègues, dont la tendance naturelle est de dépenser le plus possible, chacun dans son département. Généralement très embarrassé, soit par ses conditions particulières, soit par les difficultés de la situation, le ministre ne se hâte pas de porter le budget devant les chambres et la session se passe en récriminations personnelles. Cependant le 1er juillet approche ; — c’est l’époque où commence en Espagne l’exercice nouveau, — recettes et dépenses sont réglées à la hâte par une autorisation fort large. C’est ce qui est arrivé pour le budget de 1879-1880, et sous la révolution, de 1863 à 1874, trois budgets seulement sur six furent discutés. A défaut de renseignemens statistiques certains sur le mouvement des forces productives, les ministres procèdent par intuition et cherchent avant tout à dissimuler ce qui pourrait déplaire aux yeux. Aussi presque tous les budgets sont-ils présentés en équilibre, lorsque tout le monde prévoit un déficit, sans plus s’en émouvoir, il est vrai.

D’ailleurs, qu’importe au ministre ? Il se sait irresponsable. Grâce à l’étrange habitude de faire entrer dans le budget de l’exercice auquel ils correspondent les paiemens arriérés de plusieurs années par les lenteurs de l’administration, — si bien qu’un compte ne peut être clos qu’après liquidation des arrérages, — la cour des comptes tarde en moyenne dix ou douze ans à les apurer. Sûr ainsi d’un long délai et de l’indulgence universelle, quel ministre pressé par ses collègues se privera de la faculté, aussitôt abolie que rétablie, d’augmenter par un simple décret les crédits votés par les chambres ? Bref, la distinction entre le budget ordinaire et le budget extraordinaire aidant à la confusion, le pays ignorera toujours le résultat définitif de chaque exercice. Il ne sait pas encore ce que lui ont coûté les guerres d’Afrique et de Saint-Domingue, données