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où. on eût, usé ses forces, tout en calomniant ses intentions. Ce n’est que dans une position où il serait à même d’être jugé par le maître lui-même qu’il y aurait pour lui des chances de succès et d’utilité véritable… »

L’exemple de la grande-duchesse montre que les amis de Milutine qui avaient le plus désiré son retour en Russie et sa rentrée aux affaires finissaient par se ranger tous à son avis et l’approuver de se tenir à l’écart. Comme on le voit par une des lettres de la grande-duchesse, Milutine avait obtenu un congé illimité. De retour en Italie, où il était allé rejoindre sa famille, Nicolas Alexèiévitch se proposait de reprendre à Paris, au printemps, ses études interrompues sur la société française. En attendant, il jouissait, aux bords du Tibre, du calme de cette vie romaine qu’il goûtait si fort, tout en préparant quelques travaux pour sa patrie, lorsque tout à coup, en avril 1862, un ordre impérial vint brusquement l’arracher à sa quiétude et le rappeler précipitamment à Saint-Pétersbourg. Il ne s’agissait plus des paysans de la couronne, des états provinciaux ou de l’administration intérieure ; il ne s’agissait même plus de la Russie, pour laquelle depuis des années Milutine avait fait tant de plans de réformes, mais bien d’un pays qui lui était absolument inconnu, de la malheureuse Pologne, où couvait l’impolitique insurrection de 1863.

Par un de ces changement à vue que rien ne faisait prévoir et qui ne sont possibles que dans les gouvernemens absolus, Milutine, le fonctionnaire suspect à Pétersbourg, le prétendu ennemi de la noblesse, le démocrate taxé de radicalisme et de penchans révolutionnaires, était soudainement appelé à réprimer la révolution imminente à Varsovie et à étouffer dans l’œuf la rébellion de la Pologne. A l’ancien adjoint provisoire du ministre de l’intérieur, si brusquement congédie en avril 1861, une résolution aussi soudaine offrait, à douze mois de distance, le gouvernement du royaume de Pologne. Nous allons voir quel accueil fit Milutine à cette singulière proposition, par quel nouveau et subit revirement de la politique impériale il fut cette fois exempté de cette triste besogne pour y être définitivement appelé l’année suivante et y rester cloué jusqu’à la fin de sa vie.


II.

Incertain et vacillant dans les affaires polonaises comme dans les affaires, russes, le gouvernement de. Saint-Pétersbourg, nous l’avons dit[1], penchait tour à tour pour les concessions et pour la résistance, cédant aux impulsions et. aux conseils les plus différens sans

  1. Voyez la Revue du 15 octobre.