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le renchérissement certain, visible des denrées alimentaires, la cherté du pain. Malgré les démonstrations des avocats de l’agriculture, la chambre des députés a résolument écarté toutes les propositions qui tendaient à augmenter les droits sur la subsistance du peuple. Celles des taxes qui ont été maintenues, si faibles qu’elles soient, disparaîtront à un jour prochain. La franchise complète est commandée par des raisons d’ordre politique et social qui s’imposeront au législateur. Pas plus que la chambre des députés, le sénat n’y pourra résister.

La consommation annuelle de la France est d’environ cent millions d’hectolitres de blé, chiffre à peu près égal à celui de la production dans les années normales. Un droit de 2 francs par hectolitre représenterait une dépense de 200 millions imposée à l’ensemble de la population et grevant, pour la plus forte part, le budget des familles pauvres. Quant à la viande de bœuf, de mouton et de porc, les prix n’ont point cessé de s’élever, et la surtaxe rendrait plus coûteuse encore l’alimentation populaire. Les importations considérables dont se plaignent les agriculteurs fournissent le meilleur argument que l’on puisse opposer à leurs prétentions. Nous avons eu besoin, en 1878 et en 1879, d’un supplément de 30 millions d’hectolitres. Que serions-nous devenus si l’Amérique et la Russie n’avaient pas comblé le déficit de nos récoltes ? La France eût été livrée à la famine. Plus l’importation a été considérable, plus elle a dû être accueillie comme un bienfait ; elle a été le salut. Si le blé avait été frappé d’une lourde taxe, celle-ci aurait été suspendue pendant la période calamiteuse ; le simple droit de balance, qui est appliqué aujourd’hui, a lui-même été sur le point d’être aboli.

Que les agriculteurs ne se fassent point d’illusion : dans les conditions actuelles de notre état politique, ils ne sauraient compter sur l’assistance d’un tarif. Ils se sont fourvoyés, lorsque dans la récente campagne ils ont conclu l’alliance avec les protectionnistes de l’industrie, sur la foi de promesses vaines. L’échange libre est désormais la loi de l’agriculture, loi proclamée non plus seulement par les économistes, mais aussi par les hommes d’état, par les organes chaque jour plus nombreux des intérêts populaires, par le suffrage universel. Contre cet arrêt depuis longtemps préparé et devenu aujourd’hui définitif, aucun raisonnement ne prévaudra : la raison d’état restera la plus forte. Il faut que l’agriculture cherche ailleurs un remède aux souffrances qu’elle éprouve, une défense contre les périls qu’elle redoute dans l’avenir, et, puisque les tarifs promis lui font défaut, elle reprend le droit de discuter, au point de vue de son propre intérêt, les taxes et surtaxes que l’on voudrait réserver à la protection industrielle.