Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 42.djvu/450

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mesnard a fait précédée cet excellent travail. Il nous suffira, pour nous, de remarquer qu’on se trompe en général sur le principe même d’où partent les critiques.

Les uns cherchent dans la langue de Racine une prétendue richesse de vocabulaire qu’il n’est pas étonnant qu’on n’y trouve pas, puisqu’il se l’est volontairement interdite, et ne l’y trouvant pas, ils lui imputent à pauvreté l’inutilité même de leur recherche. C’est pure injustice. Comme le dit une vieille comparaison, quelque grosse somme que l’on ait dans son coffre-fort, on n’est pas moins riche pour l’avoir en louis d’or que pour l’avoir en pièces de cent sous : et c’est bien moins embarrassant. D’autres encore veulent étudier le style de Racine comme si c’était un style extérieur à la pensée qu’il traduirait, une forme indépendante du fond qu’elle recouvrirait, une enveloppe superficielle a la chose qu’elle envelopperait. C’est une autre injustice. On peut se proposer d’étudier ainsi le style de Corneille, mais non pas celui de Racine. La forme ici fait corps avec le fond. L’adhérence est entière, et, — sauf quelques rares faiblesses, — quiconque s’en prend au style de Racine, c’est à la psychologie de Racine qu’il s’en prend.


Heureux qui satisfait de son humble fortune,
Libre du joug superbe où je suis attaché,
Vit dans l’état obscur où les dieux l’ont caché !


Cette épithète elle seule de « superbe » est un trait de caractère. Agamemnon subit le joug, mais ce joug est superbe, c’est le joug des grandeurs et de la royauté : son ambition le subira donc encore, et le subira toujours, au prix même du sacrifice et de l’immolation de sa fille. Tout de même, au lieu de dire : « vit dans un état obscur : » pourquoi dire pompeusement, à ce qu’il semble,


Vit dans l’état obscur où les dieux l’ont caché ?


Pour la rime, répondrez-vous ? Non, c’est le pic de Ténériffe ou le manoir d’Heppenheff que l’on met à la rime ainsi. Mais l’Agamemnon de Racine s’empresse de prévenir la réponse ou les objections d’un confident maladroit. En effet, s’il recule d’horreur à la pensée de sacrifier sa fille, que n’abandonne-t-il cette grandeur qui lui coûte si cher ? Mais la place où naissent les hommes, c’est par un décret des dieux qu’ils y naissent, et ce serait une tentation sacrilège que de vouloir en changer. On est homme, et comme tel soumis aux coups du sort, mais on ne se démet pas du titre de roi des rois, parce que ce serait insulter à la volonté des dieux. On pourrait commenter ainsi, mais plus aisément encore que celles d’Agamemnon, les moindres paroles de Clytemnestre,