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dédaigna toujours de leur accorder la moindre attention. Les talens mêmes de Davout pour l’organisation et l’administration militaires étaient tournés contre lui et servirent mainte fois de prétexte pour lui refuser les occasions d’un accroissement de gloire, car Napoléon, qui les connaissait par heureuse expérience, l’employait le plus qu’il pouvait à lui créer ou à lui conserver des armées, tâche difficile, qui réclame des facultés au moins égales à celles que demandent les champs de bataille, mais qui parle moins à l’imagination du vulgaire que la plus petite victoire. C’est ainsi que nous le voyons de 1810 à 1812 cantonné sur l’Elbe, organisant l’armée du Nord, immobilisé à Hambourg en 1813 et en 1814, confiné au ministère de la guerre en 1815, pendant le suprême effort de la dernière lutte. De tels hommes aiment les querelles franches et à ciel ouvert, comme le prouvèrent dans la campagne de Russie les scènes de Marienbourg, de Dorogobouge et de Gumbinnen ; mais cette lutte sourde contre une froide malveillance qui refusait de se déclarer était pour lui, il nous le fait sentir à maint passage de sa correspondance, la plus irritante des souffrances. Presque désenchantée de cette mâle passion de la guerre qui lui avait été si chère, son âme, par nature d’un sérieux terrible, se replia sur elle-même, s’enveloppa plus que jamais de taciturnité, et il vint un moment où cet homme si fortement trempé ne respira plus que du côté de la famille.

Eh bien ! ce sentiment même par lequel désormais, — c’est lui qui nous le dit, — il était seulement heureux, il ne pouvait le connaître que contrarié et le satisfaire qu’à la dérobée. Dure existence en vérité que celle d’un soldat de ce temps-là ! Depuis son retour d’Égypte, c’est à peine si Davout avait revu la France autrement que pour assister comme grand dignitaire aux cérémonies qui marquaient un changement dans le régime napoléonien. Il y était revenu pour les cérémonies du sacre, et six ans après pour le mariage de l’empereur avec Marie-Louise, les Pays-Bas, l’Allemagne, la Pologne s’étaient partagé le reste de ses années. Dans cet exil que lui faisait sa haute situation, il n’assistait que de très loin aux péripéties des existences qui lui étaient chères. Des enfans lui naissaient sans qu’il pût les voir entrer dans le monde, et il s’écoulait souvent de longs mois avant qu’il leur donnât ses premières caresses ; il y en eut même qui moururent avant qu’il eût le temps de les connaître. Cette compagne qu’il adorait, il ne pouvait l’appeler auprès de lui que dans les rares momens d’éclaircie, entre deux batailles, pendant une trêve ou un armistice, au lendemain d’une paix bien vite rompue, et c’était toujours pour un temps trop court à son gré. Encore la maréchale, retenue qu’elle était en France par les soins de sa maison et les affaires de la fortune commune dont elle avait la direction, par ses fréquentes grossesses,