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Parmi ces nombreux témoignages de l’incroyable popularité dont jouissait M. Necker je choisirai ceux où se peint le mieux l’esprit qui animait alors les différentes classes de la société. Assurément il n’y aurait eu rien d’étonnant à ce qu’un ministre étranger et bourgeois trouvât liguée contre lui la noblesse de cour et que la cabale des courtisans s’acharnât tout entière contre lui. Il n’en fut rien. Si M. Necker excita des rancunes implacables chez quelques-uns de ceux dont il contribua à faire rejeter les demandes, et en particulier dans les quatre familles qu’on appelait les quatre coins de la reine, il trouva cependant dans les rangs des plus grands seigneurs des partisans chaleureux. Ce sont, leurs lettres l’attestent, les Montmorency, les La Rochefoucauld, les Noailles, les Mouchy, les Beauvau, les Crillon, les Mailly, bien d’autres encore qui se prononcèrent avec le plus de vivacité en faveur de M. Necker. Je choisirai, parmi ces témoignages d’ardeur désintéressée, quelques billets dont le tour me paraît le plus propre à montrer quels sentimens animaient alors une partie de ce monde de la cour de Louis XVI. Presque tous ces billets ont été écrits, soit à l’occasion de la publication du Compte-rendu, soit au moment de la retraite de M. Necker. Veut-on savoir, par exemple, quels sentimens la lecture du Compte-rendu avait excités chez un maréchal de France qui devait un jour périr sur l’échafaud, ainsi que sa femme et sa petite fille ? qu’on lise cette lettre du maréchal duc de Mouchy :


Versailles, ce 17 février 1781.

Je viens de lire avec enthousiasme, monsieur, l’admirable compte que vous avez rendu au roy : rien de plus beau et de plus touchant pour tout homme qui scait penser ; rien de plus capable et de plus fait pour enflamer tous les bons François d’amour pour leur maistre et de la reconnoissance d’avoir choisi un ministre aussi éclairé et aussi actif et qui a fait en quatre ans ce qui illustreroit une longue vie. J’en fais aussi mon sincère compliment à la digne et respectable compagne de vos traveaux dans un détail si intéressant et si pénible. Tous les bons patriotes doivent faire des vœux pour que la France vous conserve un siècle pour son bonheur. Je ne serai pas des derniers à le désirer très vivement.

J’ai l’honneur d’être, monsieur, avec un inviolable attachement, votre très humble et très obéissant serviteur.

N. Maréchal duc de Mouchy.

J’ai une grande impatience que ce chef-d’œuvre gagne la province.


Est-on curieux du jugement que portaient sur les événemens du nouveau règne et sur l’entreprise de M. Necker, les courtisans