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étaient anéanties, les fonctions végétatives persistaient dans leur intégrité ; la respiration restait régulière, le cœur conservait son rythme, le sang sa couleur, la chaleur animale son degré. Dès que les inhalations furent interrompues, le retour à l’état normal se fit avec une extrême rapidité. Après trois ou quatre respirations à l’air libre, c’est-à-dire au bout d’une vingtaine de secondes, l’animal, entièrement réveillé, reprenait sa gaîté et sa vivacité ordinaires ; il se mettait à courir librement et à caresser les assistans.

L’expérience que nous venons de rappeler présentait une importance considérable pour la pratique chirurgicale. Il ne restait plus, en effet, qu’à appliquer la méthode de M. P. Bert aux opérations sur l’homme. Dès le commencement de l’année 1879, deux chirurgiens des hôpitaux, MM. Labbé et Péan, en firent l’épreuve avec un plein succès ; d’autres, MM. Perrier et Ledentu, à Paris, M. Deroubaix, à Bruxelles, répétèrent ces essais. Aujourd’hui le nombre des opérations faites avec le protoxyde d’azote sous pression dépasse cent cinquante. L’excellence du procédé n’est plus discutée. Le malade a tout profit à être endormi par ce procédé plutôt que par tout autre. Les autres anesthésiques altèrent assez profondément les tissus en coagulant et dissolvant leur substance ; de là des malaises qui survivent quelques heures à l’opération, et dont la gravité a permis de dire que le malheureux opéré reste quelquefois « plus malade de son chloroforme que de son opération. » Le protoxyde d’azote, ne formant pas de combinaison chimique stable avec les tissus, n’exerçant qu’une action superficielle et temporaire sur les élémens organiques, déprime moins fortement le système nerveux et permet le retour presque instantané de la sensibilité, de la volonté et de l’intelligence. Il offre un autre avantage : la période d’excitation préalable qui est l’écueil de l’anesthésie par l’éther et qui est à craindre même avec le chloroforme, subit avec le protoxyde d’azote une atténuation qui pratiquement équivaut à sa suppression. Enfin et surtout, il est absolument inoffensif, et ne laisse plus au chirurgien le plus circonspect aucun prétexte pour refuser à ses malades le bénéfice de l’insensibilisation.

L’application exige une installation particulière. Le sujet doit respirer un mélange de 15 parties d’oxygène et de 85 parties de protoxyde d’azote à la surpression d’environ 1/3 d’atmosphère. Un masque exactement appliqué sur la bouche et le nez amène sans perte dans les voies respiratoires le gaz accumulé dans un réservoir à parois flexibles, de manière à pouvoir être comprimé par l’extérieur. D’autre part, pour que la pression exercée à la surface interne du poumon soit sans danger, il faut qu’elle s’exerce également à la surface du corps ; — en un mot, le sujet doit être dans la même condition où il est normalement lorsqu’une égale