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pression, celle de l’atmosphère, agit intus et extra. De là l’obligation de placer l’opéré dans une chambre métallique, ou cloche hermétiquement fermée, et pouvant supporter la surpression de 1/3 d’atmosphère. C’est la chambre d’opération. Là se trouvent, avec les aides, le chirurgien et le malade. Seulement, tandis que le chirurgien et les assistans respirent simplement l’air comprimé de la cloche, le patient respire le mélange anesthésique. Le séjour des opérateurs dans l’air comprimé n’a point d’inconvénient : tout au plus sont-ils quelquefois gênés par une impression désagréable de tension de la membrane du tympan. Les avantages habituels de la médication par l’air comprimé rachètent cette incommodité, et l’on risque de voir un chirurgien guéri de quelque légère affection des bronches par des opérations instituées à l’intention de ses malades.

Sans doute, l’installation de ces grands appareils, — la chambre d’opérations en tôle étanche, la pompe à compression, — entraîne quelques dépenses. Elle existe pourtant toute prête dans les établissemens d’aérothérapie qui se sont fondés dans les grandes villes d’Europe : elle a été réalisée récemment dans un des hôpitaux de Paris et pourrait l’être dans les autres. Enfin, pour les opérations de ville on a construit des cloches mobiles montées sur camion et facilement transportables. D’ailleurs si ces appareils « d’une chirurgie à vapeur » sont plus compliqués que la serviette ou le simple mouchoir qui sert à l’administration du chloroforme, ils sont aussi d’une précision et d’une délicatesse incomparablement supérieures. Ils permettent de régulariser l’administration de l’anesthésique. Il suffit d’augmenter ou de diminuer la pression dans la cloche pour augmenter ou diminuer la quantité de protoxyde qui pénètre dans le sang. On peut ainsi régler exactement, avec le manomètre, la dose qui convient, maintenir ou prolonger l’état qui paraît favorable, ce qui n’a lieu ni avec l’éther, ni avec le chloroforme. Ce n’est pas seulement pour la médecine qu’une telle facilité sera précieuse : la physiologie psychologique a quelques profits à en attendre. En ralentissant, pour ainsi dire à volonté, la marche de l’anesthésie, on pourra l’analyser, en séparer les périodes, en distinguer toutes les phases. Si la doctrine est vraie qui place l’abolition de la douleur avant celle de l’intelligence et si les diverses facultés cérébrales sont dissociables par l’anesthésie, cette méthode fournira le meilleur moyen de l’éprouver expérimentalement. Enfin, on pourra peut-être reproduire à coup sûr les phénomènes qui avaient tant passionné les esprits au temps de H. Davy, et connaître les conditions de cette ivresse extraordinaire qui avait valu au gaz hilarant le nom fabuleux de « gaz du paradis. »


A. DASTRE.