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que je recule toujours, espérant une lettre. Mais elle n’arrive pas.

Adieu, ma chère maman, pardonnez-moi d’être un peu en colère contre vous et faites-moi voir, je vous en prie, que vous vous ressouvenez d’une fille que vous avez en Berry et qui vous aime plus que vous ne songez à elle.


A Madame Dupin, Paris.


Nohant, 17 juillet 1827.

Je vous remercie, ma chère maman, de m’avoir donné de vos nouvelles. Je commençais à être inquiète, non de votre santé, que je savais être bonne, mais de votre oubli. Grâce à Dieu, vous vous portez bien et vous n’avez que des contrariétés ; c’est encore trop. Vous êtes bien malheureuse dans le choix de vos suivantes, mais ce n’est pas à dire, parce que vous n’en avez point encore trouvé de bonnes, qu’il n’y en ait point et que vous deviez vous résoudre à vous servir vous-même. Peut-être vous lasserez-vous bientôt de n’être pas chez vous, et il n’est pas prudent à vous qui êtes souvent malade de passer les nuits seule. Pour cette seule raison, sans compter la peur qui vous tourmente et qui est une vraie maladie qui fait même beaucoup de mal, vous devriez ne pas vous isoler ainsi de tout secours, de tous soins. Peut-être les choisissez-vous trop jeunes, par conséquent sujettes aux défauts de leur âge, la coquetterie et l’humeur légère. Il me semble que j’aimerais mieux une femme d’un âge mûr, quoiqu’il y ait souvent l’inconvénient de l’humeur revêche et rabacheuse. Vous rappelez-vous Marie Guillard, cette vieille laide et bonne femme qui, après avoir été longtemps ici, s’était mariée avec un vieillard borgne ? Après une vingtaine d’années de mariage, elle a enterré son mari et placé sa fille qui est assez jolie, et, étant redevenue célibataire, est rentrée à notre service. Elle a repris le soin de ses vaches et de ses poules (qui ne sont pas tout à fait les mêmes qu’elle soignait il y a vingt ans). C’est la plus drôle de vieille qui soit au monde. Active, laborieuse, propre et fidelle, mais grognon au-delà de ce qu’on peut imaginer. Elle grogne le jour et, je crois, aussi la nuit en dormant. Elle grogne en faisant du beurre, elle grogne en faisant manger ses poules. Elle grogne en mangeant elle-même. Elle grogne les autres, et quand elle est seule, elle se grogne. Je ne la rencontre jamais sans lui demander comment va sa grognerie, et elle ne grogne que de plus belle. Elle vous impatienterait bien, et moi tout autant si son service la tenait plus près de moi. Aussi je ne vous la propose pas, rien que sa figure vous rendrait malade. Au reste, elle n’est pas