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que dégoûte le spectacle des intrigues électorales ; — à l’autre extrémité de l’échelle sociale, les hommes qui ont fait de la politique un métier, de telle ou telle opinion, la profession souvent lucrative de leur vie, qui multiplient leur action, se prodiguent et acceptent tous les mandats pour faire réussir celui dont ils ont entrepris, parfois à forfait, d’assurer le triomphe. Entre l’élite qui s’abstient et le politician qui s’agite, existe la masse de la nation, dans laquelle les ouvriers laborieux, les commerçans actifs l’emporteraient peut-être sur les ignorans et les illettrés, si la foule des émigrans, pleins d’illusions et faciles à séduire, n’était prêté à se jeter dans les bras du premier qui leur promet la fortune. Les politicians sont les auteurs des candidatures judiciaires ; ils les prônent et en assurent le succès. Pendant que l’érudit, le jurisconsulte effrayé de ce bruit, cède le pas aux cliens inconnus de ces entrepreneurs d’élections, les candidats promenés de comité en comité, de convention en convention, parcourent le pays en sollicitant les suffrages. — « C’est le métier de tout candidat, dira-t-on. Vous faites le procès des élections. » Les élections judiciaires ne ressemblent à nulle autre ; ce qui est nécessaire en une élection politique est intolérable lorsqu’il s’agit d’un magistrat. Suivez le candidat qui le lendemain veut être juge, Écoutez les questions qu’on lui adresse : elles ont toutes trait à l’exercice de ses fonctions ; sera-t-il sévère ? usera-t-il d’indulgence ? appliquera-t-il telle ou telle prescription récemment votée ? prendra-t-il sur lui de la laisser dans l’oubli ? Il faut qu’il s’explique : s’il garde le silence, il est battu. Aussi subira-t-il les questions les moins convenables ; il souscrira volontiers des engagemens de ne pas appliquer telle loi impopulaire, et lorsque le lendemain, devenu juge, il pourrait du haut de son siège ne s’inspirer que de son devoir, il se voit rappeler à ses promesses électorales par le comité qui l’a tiré de l’obscurité et qui menace de le rejeter parmi la foule, au jour de la réélection, s’il ne demeure pas l’esclave du mandat qu’il a souscrit.

Entre tous les récits que font les Américains des maux qui sont la suite de ce système il nous est malaisé de choisir. Ici, c’est une entreprise colossale disposant de capitaux énormes, annonçant l’intention d’asservir à ses spéculations les députés et les juges, et parvenant à s’emparer pendant plusieurs années du pouvoir judiciaire aussi bien que du pouvoir politique. Là, c’est une lutte à coups de jugemens entre des magistrats au profit de leurs électeurs, cessant d’être des justiciables pour devenir leurs cliens et leurs protégés. En un mot, la corruption chez quelques hommes, la dépendance dans la plupart des cours, la médiocrité à tous les degrés, voilà le résultat du système inauguré vers 1846