Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/130

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et dont gémissent les jurisconsultes américains depuis un quart de siècle.

Si l’on observe avec soin certains symptômes, il est possible d’entrevoir quelques indices d’une réaction contre ces désordres. En 1872, à la suite des scandales auxquels nous venons de faire allusion, une campagne fut entreprise contre les magistrats corrompus de New-York, et leur défaite vint rassurer les honnêtes gens[1]. Déjà, à deux reprises, la législature avait adopté un amendement constitutionnel qui rendait au gouvernement la nomination des juges. L’agitation fut fort vive vers la fin de l’année 1873. Tous ceux qui écrivent, qui lisent et pensent étaient d’accord pour prédire le succès de cette ligue du bon sens ; mais la masse fut docile aux clameurs des politiciens, et 319,000 voix contre 115,000 maintinrent au peuple le droit de vote. Malgré la toute-puissance du nombre, cette minorité fut considérée comme un sévère avertissement qui ne devait pas être entièrement inefficace. En d’autres états, le même mouvement se produisait sous une autre forme. La durée du mandat des juges varie suivant les constitutions locales. De l’exercice des fonctions jusqu’au jour où le juge aurait démérité (during good behaviour), la majorité des états en était arrivée à ces termes très courts qui favorisaient les brigues électorales en rendant en quelque sorte les comités permanens. C’est vers 1855 que fut atteint le minimum de durée des fonctions ; stationnaires jusqu’en 1867, il semble que depuis dix ans les termes s’étendent. Huit états ont déjà révisé leur constitution en élevant sensiblement la période du mandat judiciaire. Plusieurs l’ont doublée en la portant de six à douze années. La Pensylvanie a été plus loin en décidant que ses juges, anciennement élus pour quinze années, exerceraient leurs fonctions pendant vingt et un ans. Si l’on tient compte de l’âge auquel on peut être élu magistrat, il en résulte que les juges de Philadelphie sont garantis par une sorte d’inamovibilité.

C’est encore aux mêmes inquiétudes que furent dues diverses précautions contre la tyrannie des majorités. La nouvelle constitution de Pensylvanie, approuvée en 1872 par le vote populaire, adopta pour l’élection des magistrats l’un des systèmes de suffrage préconisés en Europe pour la représentation des minorités. Lorsque deux magistrats doivent être choisis, chaque électeur ne porte qu’un nom sur son bulletin, et de la sorte, la majorité, impuissante à faire nommer deux candidats, est forcée de céder un des sièges à la minorité. La convention constitutionnelle de l’Ohio a examiné la même question en 1873 et l’a résolue par l’adoption du vote cumulatif,

  1. Société de législation comparée. Juillet 1872.