Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/167

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui, bien loin de s’appeler, semblaient se repousser, il sort une vérité nouvelle.

Après quoi, permettons-nous de signaler quelques autres endroits où la périphrase approche du galimatias. Je le comprends encore, quoiqu’il parle assez mal déjà, quand il nous dit que « pour réveiller les âmes voluptueuses, il faut des excès bizarres, » et « qu’une affreuse distinction d’énormité donne à l’iniquité de nouveaux charmes[1]. » Mais si je vous demande ce que c’est que « se faire un monstre d’un vain discernement de viandes dont la santé peut souffrir[2], » avouez que personne ne me répondra sans avoir recouru d’abord au contexte. On pourrait insister, mais comme il le dit lui-même, « tirons un voile de discrétion sur la sévérité des maximes, » et sans examiner dans la grande rigueur les défaillances d’exécution, contentons-nous de rappeler qu’elles sont nombreuses chez Massillon, — incorrections, négligences de toute sorte, métaphores discordantes, voire cacophonies, — et bien singulières pour un écrivain qui ne laissa pas en mourant moins de douze copies[3], dit-on, du recueil de ses Sermons. Des images comme celle-ci : « On a sur la conscience des abîmes qui n’ont jamais été approfondis[4], » ou comme celle-ci : « Tel est l’homme, ô mon Dieu, entre les mains de ses seules lumières[5], » ne sont malheureusement pas assez rares dans sa prose.

Notons seulement un dernier trait, qui va nous ramener au point de départ et fermer le cercle : c’est le fréquent usage de ces épithètes vagues dans les meilleurs sermons de Massillon, — les « terreurs cruelles, » les « horreurs secrètes, » les « songes funestes, » ou les « noirs chagrins ; » — épithètes de nature, comme on les appelle au collège, parce qu’elles sont tellement naturelles qu’elles font pléonasme, à vrai dire, et que s’il leur arrive parfois d’aider, et d’aider beaucoup à la sonorité de la phrase, il ne leur arrive jamais ni d’étendre, ni de renforcer, ni de préciser, ni seulement de nuancer le sens du mot. « Vous

  1. Sur le danger des prospérités temporelles. « Il semble d’ailleurs que Massillon n’ait pas été très heureux dans l’expression de cette pensée si juste pourtant, et si profonde. Je vois qu’il y est revenu dans son sermon sur l’Enfant prodigue. « On cherche avidement de nouveaux crimes dans le crime même, on forme comme le prodigue des désirs plus honteux et qui vont plus loin que les actions mêmes : Cupiebat implere ventrem de siliquis quas porei manducabant. » Le comprendriez-vous bien si la citation du texte évangélique ne venait donner a la pensée le dernier degré de clarté de force et d’éloquence ?
  2. Sur le véritable culte.
  3. F. Godefroy, Étude sur Massillon.
  4. Pour la fête de la Visitation.
  5. Sur les dispositions à la communion.