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trouve Bourdaloue presque grossier, d’Alembert trouve Bossuet[1] presque négligé, mais Condorcet les dépassera tous, qui trouvera que Pascal a manqué « d’élégance et d’harmonie » et qu’il y a par trop « d’expressions proverbiales et familières » dans ces immortelles Provinciales[2]. On dirait qu’en un certain sens, la fin du XVIIIe siècle aspire à rejoindre le commencement du XVIIe. Les jolis petits poètes qui travaillent à l’Almanach des muses sont germains des Benserade, et des Sarrasin, et des Voiture. Et ne vous les représentez-vous pas bien, les Bernis, les Dorat, les Lebrun même donnant la main, par-dessus le siècle de Louis XIV, aux belles dames de l’hôtel de Rambouillet ? Massillon, parmi les rénovateurs du précieux dans la prose, est sans doute l’un des premiers en date. Je rappelais tout à l’heure Marivaux, mais on peut faire une comparaison plus juste encore et plus sensible : le prédicateur du Petit Carême a traité de la religion comme le spirituel auteur de la Pluralité des mondes a traité de la science. Ni l’un n’oublie jamais qu’il écrit pour l’instruction des marquises, ni l’autre qu’il prêche pour l’édification des duchesses. On peut donc dire que, si le XVIIIe siècle n’avait pas admiré Massillon par-dessus Bossuet et Bourdaloue, comme il admirait, je le crains, Fontenelle par-dessus Malebranche et Descartes, il aurait cessé d’être le XVIIIe siècle. On avait mis, selon le mot si vrai de la Bruyère, on avait mis dans le discours tout l’ordre, toute la netteté, toutes les grandes qualités, en un mot dont il était capable. Il ne restait plus qu’à y mettre de l’esprit, trop d’esprit, et c’est à quoi nul ne s’employa plus consciencieusement que l’évêque de Clermont. Mais nous voyons par là qu’une bonne part de la réputation consacrée de Massillon n’est faite que de ses défauts mêmes, ou du moins de tout ce que le XVIIIe siècle a commis de regrettables erreurs sur le style considéré non pas comme indépendant de la pensée peut-être, mais enfin comme extérieur à elle. Car ne croit-on pas rêver lorsqu’on entend d’Alembert conseiller à ceux qui voudront se convaincre, combien « la véritable éloquence de la chaire est opposée à l’affectation du style[3], » de lire les sermons de Massillon et particulièrement ceux qu’on appelle le Petit Carême ? Un autre critique du temps avait loué ces mêmes sermons en des termes plus singuliers encore, insistant sur ce qu’on n’y trouvait « nulle antithèse, nulle phrase recherchée, point de figures bizarres[4] ! »

Remarquez maintenant la place que ces artifices de langage

  1. D’Alembert, Éloge de Bossuet.
  2. Condorcet, Éloge de Blaise Pascal.
  3. Article Élocution, dans l’Encyclopédie.
  4. Cité par l’abbé Blampignon, Massillon, p. 262.