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devait être respectée, que le progrès politique consistait à faire passer par degrés dans la législation toutes les libertés compatibles avec l’ordre, la liberté de s’associer, la liberté d’enseigner, même la liberté de prier ou de ne pas prier, d’aller à la messe ou de ne pas aller à la messe. Cette loi même de 1850, qu’on traite aujourd’hui en ennemie, elle fait partie de la tradition, elle a été l’application du principe de la liberté de l’enseignement proclamé avec quelque réserve par la charte de 1830, définitivement par la constitution républicaine de 1848. Elle est désormais consacrée par une expérience de trente ans, elle est passée pour ainsi dire dans la vie sociale, dans la pratique universelle. Tout cela, droits, garanties, faculté d’enseigner, inviolabilité de la conscience comme du domicile, c’est la tradition libérale française. Et on croirait aujourd’hui pouvoir nous ramener en arrière, comme si nous avions tout désappris ou tout oublié ! On croirait pouvoir reconstituer une omnipotence d’état, recourir aux plus vieilles armes de l’arbitraire, procéder sans façon par voie de police administrative, violer des maisons, suspendre des droits de propriété, poursuivre jusqu’à extinction l’enseignement libre, sous prétexte que tout est permis avec le grand ennemi, avec le cléricalisme ! Non, il ne s’agit nullement ici de cléricalisme ; la plaisanterie est usée, elle est bonne tout au plus pour ceux qui ne croient pas au pontife de Rome, mais qui croient au pontificat d’Auguste Comte ou de M. Paul Bert. C’est tout simplement une question de l’ordre politique, et pour notre part, ici à la Revue, notre premier soin est de laisser toute considération religieuse en dehors de la politique. Lorsque nous avons combattu, lorsque nous combattons encore tout un ensemble d’actes et de procédés qui ont le caractère d’un système, ce n’est pas par des raisons religieuses, c’est parce que ces procédés et ces actes sont une atteinte à la liberté, parce qu’ils sont la contradiction flagrante de toutes les traditions libérales de la France. M. Bardoux avait mille fois raison l’autre jour, lorsqu’on lui objectait sans cesse l’église, l’épiscopat, de répondre qu’il n’avait mission de parler que pour la liberté, qu’il n’avait défendu que la liberté. C’est là le vrai.

Allons plus loin. Ce n’est pas seulement la liberté qui est atteinte par la politique de réaction et de secte qu’on suit depuis quelque temps, qui est devenue comme la fatalité du ministère ; c’est certainement la république elle-même qui peut être gravement compromise, qui se trouve dénaturée par cela seul qu’elle apparaît comme une domination de parti. Si on a cru rehausser ou servir la république en lui donnant ce triste mot d’ordre de la guerre au cléricalisme, en l’engageant dans cette aventure, on s’est étrangement trompé. Avec cette idée fixe peu digne de politiques sérieux, on en est venu à voir partout des suspects, à semer l’irritation et le doute, à susciter les hostilités ou les dissidences là où elles n’existaient pas. On est allé au-devant de ces