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manifestations, de ces actes d’indépendance de la magistrature dont on se fait aujourd’hui un titre contre l’institution elle-même ; on a jeté le trouble dans une partie de l’armée ; on s’est exposé, par toutes ces campagnes contre les choses religieuses, à provoquer des émotions profondes dans les populations des campagnes. A parler franchement et sans nul parti-pris, qu’a donc à gagner la république à paraître toujours menacer quelqu’un ou se mettre en guerre avec tout le monde lorsqu’il lui aurait été si facile, si profitable de s’ouvrir libéralement à tous les esprits désintéressés, à toutes les bonnes volontés qui ne lui auraient pas manqué dans tous les camps ?

Cette situation qu’on a créée, elle a sa gravité sans doute, et sous ce rapport, l’héritage de l’année qui finit peut être lourd à l’année nouvelle. Est-ce à dire que tout soit définitivement compromis, qu’il n’y ait plus ni possibilité de retour ni moyen de rectifier une direction faussée ? Évidemment on peut encore s’arrêter, et même ceux qui le voudraient sérieusement, ceux qui oseraient prendre la généreuse initiative d’une politique plus libérale, ne seraient peut-être pas longtemps sans trouver un appui efficace jusque dans les chambres. S’il y a une chose sensible, en effet, c’est que ce mouvement auquel on prétend céder est beaucoup moins vif qu’on ne le dit. On a vu ce qui s’est passé l’autre jour au sénat : une partie de la gauche elle-même n’a point hésité à blâmer M. le préfet de la Seine pour ses fantaisies de police contre les crucifix des écoles. Plus récemment, dans l’autre chambre, lorsque M. Beaussire, M. Bardoux, M. Ribot, d’une parole pressante, avec une raison libérale, ont réclamé au moins une place pour l’enseignement religieux à côté des cours de l’école primaire, l’assemblée s’est partagée. La question reste même incertaine par suite de votes contradictoires qui ne sont pas une solution. Que prouve cela, si ce n’est qu’en dehors des partis extrêmes il y a encore des élémens qu’il suffirait peut-être de rallier et de rassembler ? Eh bien ! c’est avec ces élémens qu’on peut essayer de rectifier la marche de nos affaires intérieures. C’est sur ce terrain d’une politique de modération qu’il faut tenter la défense. Il y a une première occasion : c’est cette élection des municipalités qui va se faire d’ici à peu de jours dans toutes les communes de France, particulièrement à Paris. Plus que jamais la lutte est engagée entre la république du radicalisme sectaire et la république libérale qui, aujourd’hui comme hier, reste la seule durable.

Le temps passe pour tout le monde, pour l’Europe comme pour la France, avec son cortège de questions qui s’enchaînent, de difficultés et de préoccupations toujours renaissantes. Qu’a produit cette année expirante dans l’ordre européen et que laisse-t-elle à l’année qui commence ? De quels gages favorables ou de quelles menaces est