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de Berlin. Lorsqu’on a voulu récemment imposer à la Porte la cession en faveur du Monténégro, on était fondé, on avait contre elle un titre ; on agissait au nom du traité de Berlin, et d’ailleurs, ainsi que le disait il y a quelques jours M. de Freycinet dans une discussion du sénat, le gouvernement ottoman n’a jamais contesté les droits du Monténégro. Il n’a jamais dénié les engagemens qu’il avait pris, il ne s’est jamais refusé à les remplir. Il en est tout autrement dans l’affaire grecque. Le traité de Berlin n’a rien précisé ; la Porte ne s’est engagée à rien, elle a accepté de négocier sur une rectification de limites, non de céder des provinces entières. Elle n’aspire qu’à se défendre, elle décline d’avance, par une circulaire de ces jours derniers, toute pensée d’agression.

Entre la Porte armée de son droit et la Grèce armée d’une ambition qu’on s’est trop complu à enflammer, que va faire maintenant l’Europe ? On propose, dit-on, un arbitrage dont le principe serait déjà accepté à Londres comme à Saint-Pétersbourg, à Berlin, comme à Vienne et à Rome. Le principe serait accepté partout sous certaines conditions dont l’une, la plus essentielle, serait, à ce qu’il semble, que l’arbitrage devrait être accepté d’avance par les principaux intéressés, par les Turcs et par les Grecs, qui s’engageraient à se soumettre à l’arrêt du tribunal européen. Or malheureusement ici, c’est trop évident, on risque de tomber dans de véritables impossibilités. Si l’on prétend prendre pour point de départ le tracé sanctionné cet été par la diplomatie à Berlin, comment veut-on que la Porte puisse souscrire à un programme contre lequel elle n’a cessé de protester, qui mutile son territoire et la livre sans défense à des agressions nouvelles ? Si l’on abandonne ces conditions que le roi George a appelées « définitives et irrévocables, » c’est la Grèce qui refusera vraisemblablement son adhésion, en rappelant à l’Europe qu’il y a de sa part chose jugée. La faute a été de s’engager avec un peu trop de solennité sur de telles questions, et c’est ainsi que la dernière conférence de Berlin, en allant trop loin, en prenant parti pour un tracé, n’a fait qu’aggraver la situation.

Plusieurs fois, dans ces derniers temps, au sénat et devant la chambre des députés, M. le ministre des affaires étrangères a eu à répondre à des interpellations pressantes sur la politique extérieure de la France. Il a parlé avec toute la loyauté d’un esprit droit et d’un cœur honnête. Il a tenu à défendre la France d’avoir voulu prendre une initiative particulière et jouer un rôle spécial qui pourrait l’engager aujourd’hui ; il s’est efforcé de maintenir aux négociations relatives à la Grèce le caractère d’une affaire d’ordre européen. M. Barthélémy Saint-Hilaire a parlé sagement, en homme éclairé, de la nécessité de la paix, de la garantie qu’offre au repos universel le concert européen. Rien de mieux. Le plus sûr moyen de maintenir ce concert européen et cette paix, on le sent bien aux réserves, à l’attitude des divers cabinets, c’est de ne pas laisser à la Grèce cette illusion qu’en se jetant dans une aventure, sous prétexte