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de réaliser les « conditions définitives et irrévocables, » elle pourrait compter sur quelques secours. L’arbitrage dont on parle aujourd’hui, cet arbitrage, pour être sans danger, ne peut être fondé que sur les prévisions inscrites au traité de Berlin, c’est-à-dire sur une rectification de frontière, et une rectification de frontière n’est pas une conquête de provinces. Les sympathies pour la Grèce sont universelles sans doute ; elles sont particulièrement une des traditions de la politique française, personne ne les répudie. Pour le moment, c’est de toute évidence, elles ne sauraient aller jusqu’à se prêter à un démembrement trop visible de la Turquie et jusqu’à seconder des agrandissemens un peu chimériques, au risque de provoquer de nouvelles et plus redoutables crises en Orient. M. le ministre des affaires étrangères, si bienveillant qu’il soit pour la Grèce en souvenir de Platon et d’Aristote, n’est pas pour les aventures. Les chambres ne seraient guère disposées à encourager et à sanctionner cette politique ; le pays la désavouerait plus énergiquement encore, et le meilleur souhait dont on puisse saluer l’année nouvelle, c’est que rien ne soit fait qui puisse altérer une paix jusqu’ici maintenue ou défendue par l’accord de toutes les volontés françaises.

Aussi bien, l’Angleterre elle-même, malgré les velléités de M. Gladstone, l’Angleterre est peut-être depuis quelque temps un peu moins portée à encourager les entreprises hasardeuses qui pourraient rouvrir la grande crise en Orient et rompre l’entente européenne. Elle est assez occupée de ce qui l’intéresse plus directement. Après la guerre des Zoulous à laquelle elle a eu à faire face dans les colonies de l’Afrique australe, elle vient d’être surprise tout à coup par un incident nouveau qui s’est passé dans ces mêmes régions. Il s’agit d’un mouvement des Boërs du Transvaal, qui se sont constitués en république, d’une insurrection assez sérieuse pour avoir déjà infligé un échec pénible à des troupes anglaises. Parmi ces populations du Transvaal qui sont d’origine hollandaise et qui ont été assez récemment annexées à la colonie britannique, il est resté un sentiment d’indépendance dont on n’a pas assez tenu compte, et aujourd’hui c’est une guerre nouvelle à soutenir. L’Angleterre est obligée d’expédier en toute hâte des régimens de la métropole, de Gibraltar ou même des Indes vers le Cap. La question est de savoir si, avant l’arrivée de ces forces, l’insurrection des Boërs n’aura pas pris plus de consistance et ne sera pas devenue plus difficile à vaincre ; mais, en dehors de ces incidens lointains dont on finit toujours par avoir raison, l’Angleterre a chez elle, dans son propre foyer ou à ses portes, une affaire bien autrement grave, bien autrement dangereuse : c’est l’Irlande, dont l’état ne fait que s’aggraver, dont les troubles croissans semblent remplir de perplexité le ministre spécial, M. Forster, et le cabinet tout entier.

Le ministère anglais a temporisé et s’est borné à des demi-mesures ;