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lettres dans le style qu’il pensait correspondre le mieux aux sentimens des deux maréchaux ; mais, inévitablement maladroit, il éveilla précisément par cette précaution les personnes intéressées. A Paris la maréchale lut ces documens avec stupéfaction, ne reconnut pas au style qu’on lui prêtait l’âme de son mari, et flairant le piège elle écrivit, pour savoir la vérité, la lettre curieuse à plusieurs titres que voici :


Je n’ai pas reçu de lettres de toi aujourd’hui, mon unique amis mais j’en ai lu une dans le Moniteur. Je t’avoue que je n’ai pas reconnu ta manière d’écrire accoutumée, qui est claire, énergique et noble, tandis que rien ne l’est moins que cette phrase qui est sûrement tronquée : « Une grande partie de mes hommes (te fait-on dire) s’est éparpillée pour chercher un refuge contre la rigueur du froid, et beaucoup ont été pris. »

Je suis convaincue que tu ne dis jamais mes hommes en parlant des soldats : personne n’honore plus que toi ce titre, et tu as bien raison, car, en parlant des hommes, on a rarement du bien à en dire, et, en parlant des soldats, on sait qu’on parle de gens d’honneur sans jalousies, sans petites passions, et toujours prêts à mourir sous leurs drapeaux. On a toujours un eut pour s’écarter de la vérité, et ce serait en vain, mon Louis, que tu aurais cherché à dissimuler tes pertes. Chacun sait ici que la majeure partie du premier corps a été constamment l’auxiliaire de tous les autres, et que les pertes ont été considérables pendant notre glorieuse marche sur Moscou. Les souffrances, la rigueur de la saison au retour n’ont pas dû le refaire, mais je ne pense pas qu’il te soit arrivé pire qu’aux autres : je crois, au contraire, que la débandade dont on nous a parlé dans le 29e bulletin n’a dû se manifester parmi les troupes de ton commandement que lorsqu’il y a eu impossibilité absolue de penser à les rallier. Lors de l’ouverture de la campagne, on ne cessait d’en vanter la tenue, la discipline et le bon esprit. On ne perd pas dans un moment une supériorité réelle ; mais pour étire pris à sa valeur (surtout dans la carrière des armes), il faut ne pas avoir tout contre soi. Quel que soit le mal, l’injustice est le plus grand mal ; néanmoins je suis convaincue qu’elle n’abattra jamais une âme comme la tienne, et que tu n’es pas plus navré qu’un autre ? quelque navré que tu sois, tu sais remonter le courage des autres au lieu de l’abattre. J’ai été trop à même d’en faire la triste expérience ; et d’ailleurs si des pertes plus qu’ordinaires te navrent, je suis convaincue que tu ne mets pas le public dans ta confidence. — La lettre du maréchal Ney est sur un autre ion que je n’aime pas mieux : la dm de 3a tienne est trop larmoyante, et la sienne un peu fanfaronne…


J’ai dit que la lettre de la maréchale était curieuse à plus d’un