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batailles et combats, les corps avaient leurs aigles en présence de l’ennemi, et les corps les ont toutes rapportées, et elles ont toujours servi de ralliement, jusqu’à l’arrivée à Thorn, aux généraux, aux officiers et au petit nombre de soldats qui restaient des nombreux combats que les régimens ont soutenus dans le cours de la campagne ; enfin les divisions du 1er corps qui n’étaient composées que des aigles, des officiers des régimens et d’un petit nombre de soldats, marchaient réunies au milieu des débandés, et la remarque en a été faite plus d’une fois, et cette constance des débris d’un corps d’armée remarquable par son dévoûment à l’empereur, son bon esprit et la discipline en tout lieu, dans les marches, dans les casernes et sur les champs de bataille, a excité l’admiration, et j’ai entendu le vice-roi (le prince Eugène) et bien des généraux faire la remarque que tous ceux qui donnaient un pareil exemple mériteraient d’être membres de la Légion d’honneur.

J’aurais, mon Aimée, exprimé en vingt lignes ce tableau de la conduite du corps d’armée dont l’empereur m’avait confié le commandement, mais je ne rends les comptes que lorsqu’on me les demande, et dans cette occasion j’étais trop éloigné pour que ce compte rendu arrivât en temps utile. Le fait est que l’empereur a voulu faire ressortir les récits mensongers des Russes ; il a ordonné de nous faire tenir le langage que nous eussions tenu si nous avions été questionnés. Le rédacteur a rempli cet objet et cela est suffisant. A Dieu ne plaise que j’éprouve des regrets de la façon dont il s’en est acquitté ! les regrets ne seraient que ceux de l’amour-propre ou de la vanité : je me mets en garde contre les sentimens et les idées que les petites passions inspirent, et je trouve dans l’amour de mes devoirs, dans mon dévoûment sans bornes pour le sauveur de ma patrie le préservatif contre les petites passions et le calme d’âme que les envieux ne sauraient avoir.

Je me suis beaucoup étendu, ma chère amie, pour te donner une preuve de toute ma confiance et de mon estime, et par la conviction que tu garderas pour toi toutes ces réflexions et que tu ne feras connaître à qui que ce soit la vérité sur la lettre en question ; je te l’ai dite sous le sceau de la confession, car je manquerais à mes devoirs envers l’empereur si je me permettais la plus simple réflexion en forme de désaveu sur cette lettre.

Cette catastrophe de 1812, d’une si dramatique grandeur, sans égale depuis celles des antiques dominations d’Assyrie et de Perse ; depuis les légions de Sennacherib, anéanties en un instant par la peste, ou Cyrus disparaissant dans les neiges des Scythes, appelle naturellement le souvenir de son historien. Parler de la campagne de Russie, même quand on n’en parle qu’épisodiquement, sans parler de Ségur, serait presque comme parler de la retraite des Dix