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III

Le même guignon qui avait persécuté Davout pendant toute la campagne de 1812 le suivit encore après son retour en Allemagne, où il se présenta à lui sous la forme de l’événement le plus fâcheux qui pût le surprendre. A la nouvelle de nos désastres et de la défection des troupes allemandes alliées, Hambourg, incorporée à l’empire avec Lubeck depuis 1810, se souleva, appela dans ses murs le partisan Tettenborn, chassa la garnison et l’administration françaises en massacrant le plus qu’elle put de fonctionnaires et de soldats. À ces nouvelles, la colère de l’empereur fut extrême. Davout fut chargé de reprendre la ville et d’y rétablir l’ordre. Outre qu’il était voisin du théâtre des événemens, étant cantonné sur l’Elbe, il y avait une raison décisive pour qu’il fût chargé.de cette affaire, c’est que, depuis 1810 jusqu’en mars 1812, où il l’avait quittée pour la Russie, Davout avait occupé cette ville et comme chef militaire et comme président de la commission de gouvernement chargée de l’organiser administrativement. Le choix de sa personne était donc très explicable, et il ne nous est pas apparent qu’il y eût dans ce choix, comme on l’a insinué, malveillance positive de la part de l’empereur ; mais il n’en est pas moins vrai que par cette mission Napoléon chargeait Davout d’une œuvre de vengeance, rôle pénible au premier chef et qui exige une fermeté d’une si particulière nature que nul ne l’accepte qu’à son cœur défendant. A Paris, lorsqu’arrivèrent les nouvelles de cette mission, personne ne s’y trompa. L’opinion publique la vit avec déplaisir et la regretta pour Davout ; ses ennemis s’en réjouirent, sentant bien qu’elle allait lui faire une position où il pouvait facilement se rendre odieux. La princesse d’Eckmühl, qui était à l’affût de tous les bruits qui pouvaient intéresser son mari, lui écrivit, sous le coup des alarmes du premier moment, cette très remarquable lettre qui en dit long et sur l’état de l’opinion à cette époque et sur les inimitiés que Davout s’était créées dans l’entourage de l’empereur.


8 mai 1813.

C’est Charpentier qui te remettra cette lettre, excellent ami ; sûre de son sort, je puis te dire quantité de choses que je craindrais d’aventurer. Je commence par t’avouer que je n’aime pas ton commandement de la vingt-troisième division militaire : tes pouvoirs sont illimités, mais pour faire le mal ; tu en feras le moins possible, c’est consolant pour les gens égarés. M. Auguste de Beaumont, qui t’est on ne peut plus acquis et qui a cherché à recueillir tout ce qu’on dit à ton sujet, a prêté l’oreille dernièrement dans un café où on lisait l’article du