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Mais le prince d’Eckmühl, sans se laisser déconcerter par une pareille question, répondit : « Oui, monsieur le président, j’ai une armée de 73,000 hommes, pleins de courage et de patriotisme, et je réponds de la victoire et de repousser les deux armées anglaise et prussienne, si je ne suis pas tué dans les deux premières heures. »

Cette réponse fit une très vive impression sur le conseil, dont la majorité des membres aurait probablement exprimé une opinion conforme au vœu du prince d’Eckmühl, si M. Carnot, l’un des membres du gouvernement, n’eût pris la parole en ce moment.

M. Carnot, qui portait un habit de simple garde national, tout couvert de poussière, fit un discours dont, M. Clément, qui écrit cette note, se rappelle entièrement la substance et même les paroles.

Il dit qu’il descendait de cheval et venait d’inspecter, pour la seconde fois, les travaux entrepris pour la défense de Paris ; qu’il n’était pas suspect dans l’opinion qu’il allait exprimer, car il avait voté la mort de Louis XVI et n’avait à attendre que des persécutions et l’exil de la part des Bourbons, qui, par l’appui des armées coalisées, étaient à la veille de rentrer dans la capitale, mais qu’il était Français avant tout, et qu’à ce titre il se croirait coupable, s’il conseillait une résistance qui serait inutile et aboutirait, en définitive, au siège de Paris.

Il représenta avec beaucoup d’énergie la responsabilité qui pèserait sur ceux qui auraient exposé aux horreurs d’un siège une capitale renfermant une population aussi nombreuse, tant de richesses, de monumens, etc. Il fit entendre qu’il y avait trahison évidente, car Paris n’était défendu que sur les points où il ne pouvait pas être attaqué, et qu’il était absolument sans défense sur les points vulnérables. D’ailleurs, les subsistances n’étaient point assurées et les approvisionnemens de guerre manquaient tout à fait.

En cet état de choses, et tout en rendant justice au patriotisme du prince d’Eckmühl, M. Carnot déclara, que, en son âme et conscience, il regarderait comme un crime d’avoir contribué à exposer Paris à un siège, attendu qu’il était sans défense.

Ces paroles prononcées avec calme et une véritable conviction, et surtout de la bouche d’un homme dont on connaissait l’austérité de principes et le dévoûment à son pays, produisirent sur l’assemblée une vive et profonde émotion. La délibération cessa à l’instant, et chacun se retira dans un profond sentiment de tristesse. Mais celui qui écrit cette note et qui siégeait entre les deux maréchaux d’Eckmühl et d’Essling est resté convaincu de la loyauté et du patriotisme du prince d’Eckmühl et n’a pas douté un instant, après l’avoir entendu, de sa ferme résolution de livrer bataille s’il y eût été autorisé. Il est probable que tous les hommes graves et sans passions présens au conseil partageaient cette opinion.

M. Clément, guidé par l’amour de la vérité et par ses sympathies pour