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non-seulement l’impression de M. Clément, mais cette parole prononcée au sortir de la séance et recueillie par son aide de camp Trobriand : « Aucun ne veut prendre la responsabilité, eh bien ! je la prendrai, moi, s’ils me laissent faire. » Enfin cette demande est repoussée, et c’est l’avis de Carnot qui prévaut. Pas un des membres présens ne le réfute, et cependant cette réunion est composée de personnages fort considérables, plusieurs militaires, entre autres un certain Masséna, prince d’Essling, le seul rival de gloire véritable de Davout. S’ils partageaient l’avis du prince d’Eckmühl, que ne le disaient-ils ? Et si ce fut être coupable que de ne pas essayer de s’opposera l’entrée des armées alliées, qui donc le fut en réalité ? En tout cas, il faut convenir que voilà une accusation qu’il serait injuste de faire porter à Davout seul, et qu’il faut l’étendre à bien des personnes, à Carnot tout le premier, à Carnot, dont le patriotisme, je suppose, n’a jamais été mis en question.

Notre tâche finit avec ce cruel mécompte, où se montre encore l’implacable guignon qui poursuivait le maréchal depuis 1812. Ses derniers actes, en cette année 1815, sont bien connus. On sait comment, après la capitulation, il conduisit les débris de l’armée de l’autre côté de la Loire ; mais ce que l’on n’a pas assez dit, c’est la véhémence, la chaleur et la constance opiniâtre avec lesquelles il plaida la cause de cette armée, qu’il redoutait de voir sacrifiée aux rancunes du parti royaliste. Il voulait qu’une sorte d’amnistie tacite couvrît sa conduite pendant les cent jours, et que les proscriptions et les révocations fussent épargnées à ses membres. A toutes ses sollicitations on répondit qu’une soumission pure et simple serait seule agréée, et il reçut l’ordre de faire prendre à ses troupes la cocarde blanche. Cet ordre, il l’exécuta, il faut le dire, avec une bonne grâce médiocre, et, cela fait, il méditait de donner sa démission de général en chef et même de maréchal lorsqu’à son retour de l’armée de la Loire il fut interné dans sa terre de Savigny, qu’il trouva envahie par les Prussiens. Une circonstance dramatique le tira momentanément de cette retraite forcée à la fin de 1815, mais pour lui faire échanger cet exil en famille et aux portes de Paris contre un autre beaucoup plus dur : nous voulons parler du procès du maréchal Ney. On se rappelle la mésintelligence qui s’était élevée entre les deux maréchaux pendant la campagne de Russie ; mais, il faut le dire à la louange de leurs cœurs, ils n’avaient ni l’un ni l’autre persisté dans leurs rancunes. Du côté de Davout au moins, nous savons que cette rancune ne dépassa jamais une certaine froideur. Ainsi, lorsque Ney fut créé prince de la Moskowa, Davout applaudit, mais se dispensa de le féliciter à cause de leurs relations peu amicales ; lorsque les revers vinrent sérieusement pour l’un et pour l’autre, ils ne se souvinrent que de leur longue